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"SANS LA LIBERTE DE BLÂMER, IL N'EST POINT D'ELOGE FLATTEUR" (Beaumarchais)

"SANS LA LIBERTE DE BLÂMER, IL N'EST POINT D'ELOGE FLATTEUR" (Beaumarchais)
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25 janvier 2012

LETTRE OUVERTE A TOUS LES MANJACK D'ICI ET D'AILLEURS : VOUS N’ÊTES PAS DU BETAIL POLITIQUE !

A la veille de l’élection présidentielle du 26 février 2012 au Sénégal, des manœuvres politiques de tous calibres commencent à être conduites en direction de la Communauté Manjack par des « traders » politiques, peu scrupuleux, comme cela est de coutume à l’approche de chaque échéance électorale. L’objectif, vous en doutez sûrement, étant de créer l’illusion autour de l’existence d’une allégeance collective des Manjack à un candidat donné.

Nul n’est besoin de rappeler les desseins funestes de ces aventuriers en mal de reconnaissance, dont la philosophie et les actions se situent aux antipodes des idéaux de nation qui font, entre autres, la foi du Sénégal et à ceux d’intégrité et de dignité qui ont toujours fait la force de la communauté Manjack.

Nous en appelons à la vigilance et à l’esprit alerte de chacun contre ce type de manœuvres honteuses destinées à servir de soubassement à la construction d’un profile et d’un parcours politique. Cela manque de sérieux, de dignité et expose la Communauté à un risque de vassalisation et de chosification de sa conscience politique de citoyen sénégalais tout court.

Si le choix de l’engagement politique relève de l’autonomie de la volonté, du libre arbitre de celui qui veut faire valoir ses convictions par ce moyen, il est par contre regrettable de constater que de malins esprits tentent d’y arriver en exploitant la « naïveté » d’un groupe qui se construit socialement, économiquement dans la dignité et l’intégrité morales.

L’ethnie est sacrée et permanente, faut-il le rappeler. Ce n’est pas une création du politique et donc ne peut être une base politique. Le libre arbitre de ses membres, leur autonomie et capacité de jugement ne doivent en aucune manière être circonstanciés par un appareil politique, encore moins ses agents. Dans tout peuple où la communauté ethnique a constitué une base politique, cela s’est traduit par une stigmatisation des autres communautés et par des affrontements intercommunautaires (Burundi, Rwanda etc.)

Le Manjack est parfaitement au fait des enjeux de l’élection présidentielle du 26 février 2012 au Sénégal. Ceux qui tentent de contorsionner sa pensée en l’orientant dans une direction politique donnée, ceux veulent le faire passer pour un mouton de panurge, cette « espèce » incapable d’opérer une quelconque réflexion politique, un quelconque choix en fonction de ses convictions, de ses attentes, ceux-là se trompent d’époque, de contexte et de cible.

Dans tous les domaines de la vie et d’activité tant au niveau national qu’international, ils sont légion, ces femmes et hommes qui œuvrent à l’émancipation de la culture, du savoir-faire et du génie Manjacks sans lier la respectabilité, la dignité et l’honneur d’une Communauté à une structure politique, encore moins à un homme, fut-il Chef de l’Etat.

Il convient de faire remarquer que, de plus en plus, des rassemblements formels de Manjack sont initiés, avec le couvert de labels culturels. Des orateurs se succèdent au micro pour faire l’éloge de tel ou tel homme politique, de tel ou tel candidat et pour égrener des doléances, prétendument au nom des Manjack. C’est le lieu ici de rappeler avec force qu’il n’y a pas, au Sénégal, de « cas social » Manjack ; qu’il n’y a, donc, pas de revendication Manjack. Il y a une société sénégalaise, des préoccupations citoyennes d’ensemble dans lesquelles se confondent les Manjacks. D’où la précaution pour ceux-ci de ne pas diluer leur dignité dans un charlatanisme politique dont sont friands des colporteurs de rêves dans ce contexte électoral.

La construction de légitimité politique à partir d’un référent identitaire, ethnique et communautaire est une voie dangereuse dans un projet démocratique en constante élaboration. C’est une voie discriminante et foncièrement en porte à faux avec les idéaux d’une République dont le socle repose sur l’idée de Nation. C’est une voie dangereuse, parce qu’identitaire et communautariste ; c’est une voie séparatiste du type de celles qui ont sous-tendu l’Ivoirité en Côte d’Ivoire, les rivalités interethniques au Rwanda, Burundi dans les années 1990 et leur corollaire de violence politique. Le Sénégal n’a pas besoin de cela.

Au demeurant, des Manjack, jeunes et vieux, femmes et hommes, sont présents dans tous les partis politiques du Sénégal ; ils restent guidés par la conviction que le salut d’un pays réside dans le militantisme républicain et non dans le militantisme de ghetto ou d’étiquette.

Pour le Collectif des Cadres Manjack

Fait le 25 janvier 2012

nanjackoudicafour@gmail.com

 

 

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9 mai 2011

LETTRE OUVERTE A LAMINE MASSALY, "BLE Goudé de Wade"

Monsieur le Président du Conseil d’administration de Dakarnave

Lors de votre passage à l’émission télévisée « Show tout chaud » le dimanche 1er mai 2011 sur la chaîne 2STV, vous avez déclaré : « Je suis le Charles Blé Goudé de Wade ». Ce bout de phrase appuyé des mimes gestuelles qui l’accompagnaient ne nous a pas laissé indifférent. Un collègue compatriote à qui nous faisions part de ce projet de « lettre ouverte », nous a recommandé de « ne pas perdre notre temps à donner de l’importance à ces politiciens ». Notre réponse à lui fut : « non, justement, il est important ce Massaly. »

Car, dans la société, si vous n’accordez pas d’importance, ni même au chien du Chef qui vous dirige, vous n’accordez pas plus d’importance au Chef lui-même et donc pas à vous-même qui l’avez choisi. Parce que le Président Wade est important aux Sénégalais, au moins jusqu’en 2012, il est important que le peuple s’assure que les gardiens de cet homme sont normaux. Il y va de la sécurité de tous, y compris de Wade lui-même.

Monsieur le « Président »,

Comme vous, nous sommes jeune Sénégalais, (moins de 35 ans), agissant à l’étranger sur d’autre sphère d’activité professionnelle en rapport étroit avec les ambitions d’expansion économique, diplomatique, intellectuelle, stratégique, culturel, etc. du Sénégal. Une manière de dire que, tout comme vous, et votre icône, Charles Blé Goudé, nous sommes « JEUNE PATRIOTE ». Suffisant, non, pour débattre avec vous ?

Monsieur le « Président »,

Dans un régime prévenant et alerte, cette déclaration vous aurait valu un rappel à l’ordre des instances dirigeantes du Parti Démocratique Sénégalais (PDS). Vous nous direz, et pourquoi, diantre ?

Eh bien, parce que, tout simplement, en établissant une similitude directe entre vous et Charles Blé Goudé, vous en établissez également entre le régime de Wade, votre mentor, et celui de Gbagbo, le mentor de Blé Goudé. Présumant que vous savez que ce dernier régime vient de chuter pour déni de démocratie et que pèsent sur votre idole de lourdes présomptions de crimes contre l’humanité, nous en concluons que vous insinuez l’existence ou l’envi de choses peu orthodoxes au Sénégal et qui peuvent être irritables à l’oreille du votre Chef. Et, à raison, ces choses sont de nature à éveiller des craintes dans la société. Vous auriez dû avoir davantage le courage d’approfondir la comparaison en disant ce que vous savez de commun dans la pratique de vos deux régimes. Nous savions l’homme Wade politiquement antipathique de l’homme Gbagbo, et inversement. Ce que nous ne savions pas, par contre, et que vous venez de nous révéler, c’est leur partage du phénomène de « Généraux de la rue » (Massaly pour l’un et Blé Goudé pour l’autre). Mais savez-vous seulement que le phénomène Blé Goudé a été particulièrement déterminant dans l’érosion d’estime et la descente aux enfers du « boulanger » ivoirien, Laurent Koudou Gbagbo ?

Liberté oblige, nous vous reconnaissons le droit de prendre n’importe qui ou n’importe quoi pour modèle. Même un loup ou un bois mort. Seulement, cela heurte, devient pourrissant et attentatoire à la liberté démocratique lorsque vous menacez de transposer les méthodes brusques de vos modèles dans votre action publique. Simplement parce que vous êtes au « service » ( ?) mécanique d’un homme - fut-il Régent du pays ?

Monsieur le « Président »,

La liberté et le ton avec lesquels vous avez parlé sur la 2STV démontrent bien que le Sénégal n’est pas la Côte d’Ivoire. Dans ce dernier pays, il n’y avait, avant la chute de Gbagbo le 11 avril 2011, que deux (2) chaînes de télévision, et de surcroît toutes publique : TV2 et la fameuse RTI (Radio Télévision Ivoirienne), aujourd’hui disparue, qui a fait Charles Blé Goudé et propagé « sa pensée » jusqu’à votre salon à Dakar. Pas de télévisions privées nationales, en dehors de chaînes étrangères émettant depuis les bouquets satellites. Dans cette Côte d’Ivoire là, les radios privées, (il y en a très peu), sont aphones ou réduites à distiller du Zouglou à longueur de journée. Au Sénégal, vous avez l’embarras du choix, et vous savez que vous êtes plus écouté sur les ondes de radios et plateaux de télévision privées appartenant à de paisibles Sénégalais dont certains n’ont aucune accointance avec votre régime, voire même le combattent. Le pluralisme d’expression et la tolérance politique hérités du système étatique et démocratique mis en place par le Président Léopold Sédar Senghor et renforcé par le Président Diouf sont à l’origine de la place à laquelle vous êtes parvenu. Votre Charles Blé Goudé est, au contraire, le produit d’un bras de fer anti-démocratique, le fils et acteur d’une page d’histoire sanglante que les Ivoiriens s’empressent, au moment où nous écrivons, de tourner rapidement. Par les temps qui courent, en Côte d’Ivoire, c’est une offense à la mémoire de milliers de morts que de se réclamer de lui.

Pour beaucoup d’Ivoiriens, le « Général Machette » (autre surnom de Blé Goudé), c’est celui-là « qui a introduit la violence dans l’univers syndical de l’université ivoirienne », à ses heures de Secrétaire Général de la Fédération Estudiantine et Scolaire de Côte d’Ivoire (FESCI) ; c’est cet étudiant qui aura passé « douze (12 ans) au campus pour n’en sortir qu’avec une « Licence » en Anglais et de surcroit, réputée « volée (?) » ; c’est l’anti-républicaniste qui « s’arrogeait des quotas d’entrée dans les écoles de police nationale qu’il utilisait sur une base ethnique » ; c’est l’un des rares « milliardaires » au monde, si non le seul, « à n’avoir jamais exercé d’activité professionnelle connue, ni privée, ni publique. »

Blé Goudé, c’est ce petit parolier égaré qui a hélé la jeunesse africaine pour soutenir et accompagner son « Lumumba » local dans son « combat » contre tous les « ismes » (Impérialisme, Néocolonialisme, Occidentalisme etc). En vain. Avez-vous cherché à comprendre pourquoi son appel à cette jeunesse à se rendre en Côte d’Ivoire pour « défendre la démocratie et la vraie indépendance de l’Afrique » n’a pas eu écho au-delà de Yopougon (son fief à Abidjan) ? Parce que cette jeunesse a démasqué l’escroquerie intellectuelle qui consistait à la rendre complice d’actions d’étouffement de la démocratie.

En somme, Blé Goudé, c’est l’archétype d’une jeunesse de gâchis.

Alors, «  yaako (pitié) ! », (comme disent les Ivoiriens), pour ceux qui sont en mal de ce type de « héro » au Sénégal. Ils écumeront à force de prêcher dans le vide, faute de suiveurs bruts.

Nous sommes dès lors rassuré à l’idée que dans ce Sénégal où éclosent chaque jour des esprits libres d’une rare hauteur, d’une rare intelligence ; que dans cette terre de Senghor qu’arrosent le sang d’hommes héroïquement ensevelis et que couvent jalousement les Baraka de messies endormis (Cheick Ahmadou Bamba, Sérigne Abdoul Aziz Sy entre autres) ; que parmi cette jeunesse sénégalaise qui n’a d’idéal que d’apparaître dans tous ses équilibres au banquet mondial de la compétence professionnelle, de l’intégrité morale et de patriotisme sans intégrisme, il n’y ait qu’un certain Lamine Massaly seul qui soit exalté par l’œuvre d’un Blé Goudé.

Monsieur le « Président »,

Il nous souvient qu’autrefois, à l’école primaire dans les villages, enfants, nous reprenions mécaniquement en chœur, après le Maître, sans discernement, ni compréhension, les leçons du jour. Il apparaît, à vous entendre, qu’après avoir assimilé, vous êtes à présent prompt à reproduire mécaniquement les registres activistes de Blé Goudé, votre prophète. Ce qui nous apparaît fascinant pour vous chez cet homme, c’est en vérité, sa règle du coude-à-coude ; sa logique de l’invective et sa maxime de l’irrespect. Chez vous deux, « l’enfer, c’est les autres ». Il s’agit là, du format d’une raison captive, parce qu’intuitive. Cette forme de raison est le propre d’esprit non encore affranchi de sa direction par la matière. C’est le niveau primitif de l’intelligence, toute caractéristique regrettable pour tout jeune d’aujourd’hui, placé en « bénédiction » naturelle dans ce siècle où internet et les NTIC ont démocratisé le savoir et rendu « gratuite » l’intelligence.

Comme Blé Goudé qui disait « y a rien en face », que les adversaires de Gbagbo, « c’est maïs », vous menacez publiquement de vous en prendre à ceux de l’opposition qui seraient tentés d’insulter le Président Wade. Nous sommes d’accord sur le quart de votre argument sur ce point, car en démocratie, on n’insulte pas, on démonte les arguments de l’adversaire. C’est un jeu civil que doit habiter constamment le respect de la dignité et de l’intégrité morale et physique de l’Autre. Souffrez, cependant, que nous vous décevions en vous disant que cette opposition sénégalaise est tenue en majorité d’hommes et de femmes épris de cette dimension de la démocratie. N’eut été leur sens élevé de l’Etat et de ceux qui l’incarnent, les conditions étaient réunies pour eux de répercuter au Sénégal les exceptions révolutionnaires tunisiennes et égyptiennes du printemps 2011. Pour la même raison, vous et vos « Vieux Patriotes » du PDS n’aurez donc pas une seule opportunité de faire usage de vos « armes ».

Parce qu’une dernière fois, le Sénégal n’est pas la Côte d’Ivoire, le cas « Alassane Ouattara » ne s’y posant pas, vous n’aurez donc jamais, Monsieur « Blé Goudé Massaly », l’occasion, d’être xénophobe, ni de pourfendre les autres au nom de la « Sénégalité ».

Dr. Alassane Mamadou Ndiaye

 

8 septembre 2010

DE LA LEGALITE ET DE L’OPPORTUNITE DE LA CANDIDATURE DU PRESIDENT WADE EN 2012

(in www.dakar-info.com du 30 août 2010; www.sudonline.sn du 1er septembre 2010)

Le Président Wade a été élu en mars 2000 sur la base de la Constitution du 7 mars 1963 (plusieurs fois modifiée) qui stipule en son article 22 : « La durée du mandat présidentiel est de sept ans. »

Ce mandat a été ramené à cinq (5) ans par la Loi n° 2001-03 du 22 janvier 2001 portant Constitution de la République du Sénégal telle qu’issue du référendum constitutionnel du 7 janvier 2001. En son article 27, ladite loi pose : « La durée du mandat du président de la République est de cinq ans. Le mandat est renouvelable une seule fois. » C’est la lettre.

Dans le débat en cours sur la recevabilité ou non d’une troisième candidature du Président Wade en 2012, diverses interprétations –politiques- sont faites sur le rapport – de continuité ou de rupture – entre les deux textes.  Dans son esprit et dans sa lettre, la Constitution actuelle permet-elle à l’actuel Président de la République d’être à nouveau candidat en 2012, après deux mandats (2000-2007 et 2007-2012) ?

1.      DE LA LEGALITE D’UNE CANDIDATURE

En Droit, il est dit que « l’office de la loi est de régler l’avenir ; le passé n’est plus en son pouvoir. » Autrement dit, par principe, il est de la sécurité juridique des citoyens qu’un acte présent ne puisse pas rétro-produire ses effets sur une situation passée. En vertu de ce principe de non rétroactivité, les nouvelles dispositions constitutionnelles intervenues en 2001 pour régir l’actuel mandat du Président de la République sont à interpréter dans le sens de l’avenir. Elles ne peuvent avoir force de loi rétroactivement et par conséquent ne sont opposables au Président de la République qu’à l’expiration d’un septennat acquis sous l’ancien régime constitutionnel. Sous cet angle, durant la période allant de 2000 à 2007, le Président de la République n’a fait qu’exercer un mandat à « valeur transitoire » entre la fin de l’ordre constitutionnel ancien (septennat) et le début de l’ordre constitutionnel nouveau (quinquennat). A partir de 2007, il y a une remise à plat, et de la durée et du nombre de mandats présidentiels. Et c’est là l’esprit de la nouvelle Constitution que les Sénégalais ont entériné par environ 94% de votes positifs au référendum de janvier 2001. L’échéance de 2007 constituait pour ainsi dire l’an zéro de la limitation de la rééligibilité à la Présidence de la République. A cet égard, l’actuel Président peut être considéré comme ayant été élu pour la « première fois » en 2007. Ce qui voudrait dire qu’il a encore un crédit d’un mandat de 5 ans que la constitution de 2001 lui autorise à « consommer » à partir de 2012.

Si l’on s’inscrit dans la perspective de ceux qui veulent faire l’impasse sur ce principe de non rétroactivité de la loi constitutionnelle de janvier 2001, le mandat initial de Wade de 7 ans aurait dû alors être interrompu en 2005 et des élections présidentielles auraient dû être organisées à cette date. Cela n’ayant pu être le cas, il serait plus logique, pour ceux qui pensent aujourd’hui que le Président violerait la Constitution en se présentant candidat en 2012, de soulever en même temps la question de la légalité, de la constitutionnalité de la portion du mandat exercé entre 2005 à 2007.

Il est sans doute difficile de s’en apercevoir, mais en vérité, les Sénégalais, par le référendum de 2001 ont offert au Président Wade un « mandat-cadeau » de 7 ans. Ils lui ont permis de bénéficier des effets de l’ancienne Constitution et de s’édicter l’avantage légal de jouir, à l’avenir, de la totalité des effets électoraux de la nouvelle Constitution (deux mandats au plus).

Par ailleurs, il apparaît une ambivalence notoire, pour un Président de la République, de maintenir son mandat sous un régime constitutionnel ancien et d’exercer son pouvoir sur la base d’une nouvelle Constitution dont la disposition relative au mandat n’est pourtant pas encore en vigueur. L’adoption en cours de mandat de nouvelles dispositions constitutionnelles affectant la durée du mandat présidentiel diffère l’entrée en vigueur de ces dispositions à l’expiration du mandat en cours ; dans le même temps, le reste des dispositions nouvellement adoptées peuvent immédiatement entrer en vigueur. Ainsi, de 2001 à 2007, les prérogatives du Président de la République sont régies et exécutées, non sur la base constitutionnelle du mandat initial de 7 ans, mais sur celle de la Constitution de 2001. Celle-ci a même élargi certaines de ces prérogatives avec effets immédiats. Sa promulgation, « huit jours après la proclamation des résultats du référendum par le Conseil Constitutionnel » (art. 108) a ainsi permis au Président de la République de dissoudre immédiatement l’ancienne Assemblée nationale et d’organiser de nouvelles élections législatives le 29 avril 2001(art. 87). De même, c’est sur la base de l’article 107 de cette Constitution que « toutes les dispositions relatives au Sénat et au Conseil économique et social » ont été « abrogées entraînant d'office la suppression de ces institutions », instituées sous l’ancien régime constitutionnel.

En clair, la loi constitutionnelle de 2001 est entrée en vigueur immédiatement après sa promulgation, à l’exception de son article 27 relatif au mandat du Président de la République.

L’argumentaire politique fourni à l’appui des actes de dissolution et de suppression aussitôt pris par le Président de la République mettait en avant la nécessité de faire coïncider rapidement la structure des institutions avec la vision politique du nouveau Chef de l’Etat. Seulement, il a été omis de rappeler aussi qu’au regard de cette même vision politique, le nouveau Chef de l’Etat aurait dû s’interdire d’exercer un mandat de 7 ans et, pourquoi pas, (on est en politique), de s’exiger la rétroactivité de la loi constitutionnelle de 2001.

Une des questions que posent les révisions constitutionnelles et à laquelle les constitutionnalistes devraient répondre est donc celle-ci : Lorsqu’une nouvelle constitution est adoptée, est-il logique qu’une partie de ses dispositions entrent en vigueur immédiatement alors qu’une autre partie, en l’occurrence le mandat du Président de la République, n’entre en vigueur qu’à l’expiration d’un mandat présidentiel en cours ?

Au demeurant, la ligne d’attaque juridique envisagée par une partie de l’opposition contre une troisième candidature de l’actuel Président de la République en 2012 paraît inappropriée. Au regard des dispositions de l’actuelle Constitution, ce dernier n’a pas encore épuisé ses possibilités légales de candidature à la présidence de la République. Il demeure bel et bien rééligible en 2012.

Tenant compte de ce que la raison juridique se trouve du côté de l’actuel Président de la République, il convient plutôt de poser le débat sur une troisième candidature de Wade en 2012 en termes d’opportunité. Surtout morale.

2.      DE L’OPPORTUNITE MORALE D’UNE CANDIDATURE

Primo, tout comme des scores de 70%, 80%, 95% et plus de votants acquis lors des scrutins présidentiels par des candidats sortants dans certains pays, trois (3) mandats présidentiels successifs sont une inélégance et une anomalie de la pratique démocratique au 21e siècle.

Secundo, que cherche encore un grand-père, voire un arrière grand-père de 86 ans (en 2012 ?) au Palais, à lire et à signer les textes, loupe à la main, alors qu’il aurait pu dire, depuis sa maison de retraite : « mission accomplie ! Fils et petits-fils, à vos armes » ?

La grandeur d’un homme ne découle pas de ce qu’il soit Individu suprême parmi des millions d’autres individus d’une nation ; elle ne découle pas non plus de la stricte conformité de ses actes à la loi objective et positive des hommes.

La grandeur d’un homme découle d’œuvres subjectives et imperceptibles que seul lui est en mesure de comprendre. C’est le type d’œuvres qui, même si elles font souffrir leur auteur, sont de nature à extasier les autres hommes.

Naturellement, le pouvoir « c’est doux », comme disent les Ivoiriens. Et celui qui s’en prive, naturellement, souffre de ne plus l’avoir. Mais il apparaît Grand aux yeux des Autres et les extasie, justement parce qu’en toute dignité et grandeur, il leur a permis de pouvoir espérer à nouveau en essayant un autre homme.

En 1999, le Président Nelson Mandela, élu une seule fois en 1994, était encore rééligible pour un second mandat de quatre (4) ans à la tête de l’Afrique du Sud. A la fin de son mandat, sa loi subjective personnelle, plus parfaite à ses yeux, c'est-à-dire sa conscience, a vaincu la loi objective et « imparfaite » des hommes qu’est la Constitution du pays. Résultat, Mandela refusa de briguer un second mandat. Le second mythe Mandela venait ainsi de naître.

En 2007, le Président français, Jacques Chirac, se trouvait dans le même cas de figure que le Président Wade aujourd’hui. Elu en 1995, il a fait adopter par référendum du 24 septembre 2000, une nouvelle Constitution qui ramena la durée du mandat présidentiel du septennat au quinquennat. Juridiquement, il restait rééligible en 2007 pour un deuxième et dernier mandat de 5 ans, après un septennat (1995-2002) et un premier quinquennat (2002-2007). Tenant compte du climat sociopolitique ambiant, l’homme comprit qu’un troisième mandat en serait de trop. Beaucoup de Français sont aujourd’hui nostalgiques de « l’humanisme » de ses années de pouvoir où la France avait, un tant soi peu, renoué avec ses grands principes gaullistes et retrouvé une relative grandeur sur la scène internationale (courage de s’opposer à l’Amérique sur la guerre du Président Bush contre l’Irak). 

De par ses velléités de candidature en 2012, le Président veut-il donner raison à ceux qui croient qu’il se rend compte qu’il avait commis l’erreur de réduire la durée du mandat présidentiel en 2001 ? Car, n’eût été cette réduction, le statu quo du septennat l’aurait conduit jusqu’en 2014.

Et pourtant, une chose devrait rassurer le Président.

Contrairement à « l’Autre », nous dirons que les hommes n’ont pas la mémoire courte. En l’espèce, les Sénégalais, quelle que soit l’étroitesse de leur espace mémoriel, ne peuvent oublier la part hautement salutaire que l’homme Wade a accomplie dans la marche politique de leur pays. Les uns seront admis à lui reprocher sa gestion du pouvoir, les autres à le regretter, cela s’appelle de la démocratie. Mais une constance demeurera : l’homme est désormais à lui seul, toute une histoire du Sénégal : 26 ans d’opposition démocratique, 12 ans au service suprême de la nation. Alors, que cherche t-il encore ? Léguer au Sénégal le record d’avoir eu le plus vieux Chef d’Etat de tous les temps, en Afrique et, sans doute, au monde ? Les générations du 22e siècle diront si elles auront été fières d’une telle mention dans leurs livres d’histoire.

Dans la mesure où il n’y pas encore de limitation constitutionnelle d’âge pour être candidat à l’élection présidentielle au Sénégal, il ne reste à ce jour, aux adversaires d’une candidature du Président Wade en 2012, qu’une seule voie de recours : la propre conscience de l’homme Wade. Toute autre voie d’action – juridique, politique, « mystique » etc… - serait anti-démocratique, et, de toutes les manières, vaine.

Dr. Alassane M. Ndiaye

Abidjan, Côte d’Ivoire

andiaye5@yahoo.fr

4 janvier 2010

ABDOULAYE BALDE : LA DESYMBOLISATION EN MARCHE ?

Abdoulaye Baldé (Secrétaire Général de la Présidence) et Cheikh Tidiane Gadio (Ministre des Affaires étrangères) semblaient constituer la paire inamovible du Président Abdoulaye Wade. Ces deux enfants venus des extrémités Sud et Nord avaient, jusqu’à une date récente, réussi à démentir toutes les lois des séries déclinées par moult valses d’entrées-sorties du gouvernement depuis 2000.

Les récentes remises en cause de leur sédentarité à leur poste viennent rappeler aux plus naïfs que, tel un indice boursier, les gouvernements aussi connaissent leur cours (stabilité/instabilité). Ceux qui y sont côtés (les ministres) subissent les règles de la cotation, vacillant entre hausse et baisse de valeur.

Le 1er Octobre 2009, « l’indice Gadio » s’est effondré à la faveur d’un millième pari risqué de Wade dans sa quête permanente d’une harmonie entre sa conception du pouvoir et les hommes qui ont la charge de sa mise en œuvre.

Deux semaines plus tard, c’est au tour de « l’indice Baldé » de subir la loi du marché politique. La nomination de Baldé comme Ministre des forces armées n’est pas sans susciter des interrogations de la part de tous ceux qui, depuis 2001, parient sur le « gamin » du Sud dont la fulgurance de la carrière politique commence à faire tressaillir plus d’un au sein du PDS. Le remaniement ministériel du 14/10/09 qui l’a « déporté ? » du Secrétariat Général de la Présidence est symptomatique d’une certaine arithmétique politique de Wade dans un contexte de réflexion stressée du  Parti Démocratique Sénégalais (PDS) sur sa stratégie de conservation du pouvoir au-delà de 2012.

Nous voudrions nous autoriser ici quelques scenarii de lecture de cette nomination.

Eloigner Baldé de la Zone de Complicité Présidentielle ?

Le raccourci facile serait de voir à travers cette nomination, une manifestation d’un surcroit de confiance du Président Wade à l’endroit de Baldé. Ne conviendrait-il pas plutôt de se demander s’il ne s’agit pas là de signes annonciateurs d’une dépressurisation de la « symbolique Baldé » dans l’attelage présidentiel.

L’opportunité de cette interrogation s’inscrit dans le background du projet de redéfinition de la géopolitique interne du PDS actuellement en cours. Au vu des tendances qui se dessinent, la refondation du PDS devrait, en toute logique, consacrer la remise sur orbite, dans le cercle immédiat de Wade, de la première génération de Libéraux et du « confinement participatif » des Néolibéraux (GC ?) à la périphérie du futur « Grand Parti Présidentiel » en gestation. Par conséquent, il n’est pas exclu que l’éloignement de la Zone de Complicité Présidentielle (ZCP) de tous les éléments considérés comme gênants (encore la GC ?) soit l’une des conditionnalités posées par Idrissa Seck et Cie pour leur participation à cette nouvelle géopolitique libérale.

Tuer le symbolisme politico-technocratique du personnage de Baldé ?

Certains ont vite fait de parler de promotion de Baldé qui « pour la première fois dirige un ministère plein. » Certes ! Après tout, Baldé a été, aux dernières élections locales de Mars 2009, l’un des seuls sauveurs du camp présidentiel. Sa brillante élection à la Mairie de Ziguinchor a accru son statut de figure désormais incontournable au sein du PDS. Elle lui a conféré un symbolisme politique fortement craint et densifié sa sphère d’influence au sein de l’appareil du Parti. Cependant, elle a aussi condensé contre son personnage du ressentiment de certains de ses camarades Libéraux, humiliés du secours de ce « dernier venu » et de sa rapide aura politique.

Ce symbolisme politique de Baldé se renforçait du mythe de sa longévité dans le très stratégique poste de Secrétaire Général de la Présidence. Sa nomination comme Ministre des Forces armées dilue ce symbolisme en raison de l’inéquivalence de la représentation des deux fonctions dans l’imaginaire collectif.

Dans le langage quotidien, l’appellation de « ministre » est banalisée. L’appellation de « Secrétaire Général de la Présidence de la République » (SGPR) tient sa dimension symbolique du caractère technocratique de la fonction, du mythe du Palais et de la dimension « sacralisée » voire « divinisée » du Président qui l’habite. Celle de ministre est dans le registre commun. Elle est dépourvue de toute symbolique originale dans l’imaginaire populaire. Car, il y a autant de ministres qu’il y a de choix politiques d’un Président. Au Sénégal, il y a une quarantaine de ministres. La variété des profils de ces derniers laisse finalement penser que la fonction est, avant tout, une simple reconnaissance de l’engagement politique et qu’elle peut être occupée par n’importe quel citoyen, pourvu qu’il soit bon militant et n’enfreigne pas l’obligation d’allégeance permanente au Chef. Or, la fonction de SGPR est, logiquement, attachée à la possession de compétences technocratiques particulières, à l’unicité du Président de la République de qui elle procède directement. Comme ce dernier, il n’y a, en théorie, dans chaque pays, qu’un seul SGPR – ou poste assimilé. Dans les sociétés africaines, le « Un » est vénéré, logé à une enseigne du « hors du commun ». 

Ainsi, la dimension particulière du personnage de Baldé dans l’imaginaire des populations casamançaises découle justement de l’originalité de sa  fonction au sein de l’Etat. Il y a eu de tous temps, dans tous les gouvernements du Sénégal (de Senghor à Wade) des ministres fils de la Casamance. Mais pour une première fois, un fils du terroir était placé sans interface au cœur du siège principal du pouvoir, à la tête d’un poste qui n’a aucun équivalent dans le langage administratif et gouvernemental. Diriger le palais où habite celui qui dirige les Sénégalais était un honneur sans précédent dans l’histoire de la promotion des cadres Casamançais. En l’occurrence, la fonction rappelait des figures glorieuses de l’Etat que furent, entre autres, Jean Colin et Abdou Diouf, le premier étant à l’époque un quasi Vice-président, le second, ne tardant pas à devenir le premier des Sénégalais en tant que Président de la République, plus tard.

Cette « dé-symbolisation » de Baldé se matérialise par l’instauration, désormais, de doublon hiérarchique dans ses relations de Ministre avec le Président Wade.

En tant que SGPR, il disposait de prérogatives d’accès direct au Président qui ne pouvaient souffrir de filtre hiérarchique ou protocolaire. Devenu ministre, il est désormais sous l’autorité du Premier ministre de qui, d’un point de vue institutionnel (et en théorie), procèdent son autorité et sa légitimité. Par conséquent, les relations professionnelles entre le Président et le Ministre devront logiquement transiter par un aiguilleur en la personne du Premier ministre, Souleymane Ndéné Ndiaye.

Le piège du conflit casamançais ?

Dans le contexte du lent et long processus de sortie de crise en Casamance, la nomination d’un fils casamançais comme Ministre des forces armées pourrait constituer un piège. Il est apparu qu’une certaine opinion a toujours considéré ce conflit comme un problème local alimenté par les frustrations nées, entre autres, de l’inéquitable répartition des privilèges de l’Etat entre le Nord et le Sud du pays. Les gouvernements successifs, en réponse, ont estimé qu’en faisant la promotion ministérielle des quelques fils du terroir, la résolution de cette crise n’en serait que plus facilitée. La stratégie de Wade depuis 2000 a consisté à privilégier une action directe sur le psychique du Casamançais par une politique sentimentaliste. En confiant successivement à trois (3) fils de la Casamance (Youba Sambou, Békaye Diop, Abdoulaye Baldé) le ministère des forces armées, le Président escompte obtenir la « compréhension » de leurs « frères » armés du Mouvement des Forces Démocratiques de la Casamance (MFDC). Ces nominations sont destinées à tempérer le radicalisme des rebelles à partir de l’illusion de satisfaction qu’ils auraient de contrôler, par « l’un des leurs » aux gouvernements, un département important de la souveraineté du pays (l’Armée Nationale).

Ces nominations, en outre, au-delà d’une stratégie de facilitation du dialogue direct avec les rebelles, visent à responsabiliser les Casamançais (MFDC et Ministre) en les plaçant devant un dilemme : Pour le MFDC, faut-il humilier un « frère » Ministre en se radicalisant contre l’Armée nationale qu’il dirige ? Pour le Ministre, quelle attitude entre la mission républicaine et les lois de la nature humaine (compréhension, pitié, sympathie, fraternité etc…) vis-à-vis de frères « armés » attachés à une idéologie hostile à l’autorité de l’Etat sur une partie du territoire ?

Alassane Mamadou Ndiaye

Abidjan, Côte d'Ivoire

14 janvier 2009

WADE - IDRISSA SECK: RETROUVAILLES DE DEBLOCAGE ?

La science politique n’est pas une science de la prédiction. Elle a principalement pour champ d’intervention les faits politiques, et ne pourrait, en conséquence, préprogrammer les phénomènes politiques. Pour qu’elle puisse le faire, il faudrait que les politistes ou politologues, au-delà de leur art et en plus d’être des médiums, soient dotés d’un don d’ubiquité, cette faculté surhumaine d’être présent partout et simultanément ; il faudrait qu’ils soient capables d’être dans la tête de chaque acteur politique pour lire, comprendre les lois d’interaction qui régissent leurs pensées et anticiper leur jeu dans le monde des profanes. C’est dire combien dans l’approche objective du politique dans nos sociétés africaines à démocratie aléatoire, le rationalisme est d’une relativité somme toute « absolue ».  (oui, vous avez bien lu.) L’absence de lois structurant l’objet d’étude – la politique – rend caduque toute démarche d’observation convoquant la trilogie scientifique hypothèse-vérification-thèse. 

Alors que reste t-il comme mode opératoire d’approche de la pratique politique au Sénégal ? L’intuition !

L’intuition érigée en sixième sens permet seul d’appréhender les dynamiques ambiantes du microcosme politique sénégalais et de présager de leur matérialisation sur le champ public. Ceux des Sénégalais qui s’y sont exercés n’ont sans doute pas été surpris par l’annonce des retrouvailles entre le Président Abdoulaye Wade et son ancien Premier ministre, Idrissa Seck. Depuis l’exclusion de ce dernier du PDS, le 5 aout 2005, divers indices concourraient à confirmer l’irréfutabilité de  sa réinsertion dans le parti: le boycott inexpliqué et non motivé des élections législatives par REWMI, (contrairement aux autres partis de l’opposition qui l’ont fait par réaction aux « irrégularités » de la présidentielle de 2007 et à la « non-fiabilité » du fichier électoral) ; le silence de Idrissa Seck depuis la fin des élections présidentielles alors que les autres leaders d’opposition défiaient le pouvoir etc... Un silence qui pourrait être interprété comme une observation d’une close de non-agression entre les deux hommes. L’alternance de tumultes et d’apaisements dans leurs relations repose sur une double hypothèse.

          

            La première hypothèse est celle d’un « cessez-le-feu » pré-électoral.

L’écueil à éviter serait de croire que l’épisode de ce lundi 12 janvier 2009 défie toutes les logiques de bon sens. Car, dans l’alibi démocratique qu’est le système politique sénégalais, le bon sens, cela a toujours été l’absence de logique. Durant l’entre-deux tours de la présidentielle de Mars 2009, le leader de l’URD, jusque-là viscéralement opposé au candidat Abdou Diouf est reçu en audience expresse au Palais par ce dernier, au sortir de laquelle il n’hésita pas à braver l’élan populaire du changement et à appeler à réélire le Président Diouf. A l’appui de son volte-face inattendu, Djibo Kâ avançait, au nom du Socialisme, l’argument d’une cohérence idéologique. Le même homme se retrouvera plus tard comme l’un des acteurs clefs d’un régime libéral dont il a combattu l’émergence durant toute son histoire politique.

Ces retrouvailles sont plutôt à replacer dans une perspective d’approche réaliste de tout comportement politicien. Il faut y voir une volonté de Wade d’amortir le désastre électoral qui hante son parti à la veille des élections municipales de Mars 2009. Il y a lieu donc pour l’instant de s’en tenir à l’hypothèse d’une pure réconciliation de déblocage. Idrissa Seck lui-même ne manque pas de conforter ce constat lorsqu’il déclare : « en période de guerre, il est plus digne de s’allier à son père et de périr que de s’allier avec l’ennemi pour tuer le père ». La question est de savoir si la filiation putative est définitivement renouée à travers cette réconciliation ; elle est de savoir si l’on n’assiste pas là au montage d’un ultime scénario du Président Wade consistant à apprivoiser son « fils égaré », à s’offrir ses services dans le front électoral à venir pour limiter la casse libérale et mieux l’achever par la suite. Cette interrogation aurait perdu toute son opportunité si le Président Wade n’avait, jadis, laissé entendre qu’il lui « restera toujours une clef pour mettre Idrissa Seck à terre ». L’on n’est peut-être pas au bout des rebondissements dans les relations entre les deux hommes.

La seconde hypothèse est celle de la survivance politique de Wade.

Il est reconnu qu’en général, les précurseurs de grande œuvre sont rarement les acteurs de la propagation et de la pérennisation de leurs idées et de leurs causes. Ils en jettent simplement les fondements théoriques, à charge pour les élèves, les héritiers ou autres adeptes d’en assurer la promotion, la diffusion et la sauvegarde à travers temps et espaces, en prenant garde à l’altération de la matrice fondatrice. Karl Marx a écrit sa pensée, ses élèves ont fait du marxisme ; le Général De Gaulle a créé la 5e République française, ses héritiers politiques ont donné corps au Gaullisme ; Cheik Amadou Bamba a posé ses bonnes pratiques du service de Dieu, ses fidèles ont propagé le Mouridisme. Cet honneur d’une réincarnation dans la postérité fait, incontestablement, partie de l’agenda post-politique de Wade. De par son tempérament et la vocation qu’il donne à sa place dans l’histoire du Sénégal, de l’Afrique et du monde, le Président Wade ne souhaiterait pas être réduit en une simple mémoire outre-tombe qui ne survivra qu’au travers d’héritiers mécaniques mimant systématiquement sa pensée et ses visions avec un automatisme irrationnel et dépendant. Il a aussi besoin de ceux qui la vivifieront « jusqu’à l’extinction du soleil » ; de ceux qui prolongeront son punch, son baroud en y ajoutant une plus-value personnelle pour assurer une mise à jour permanente du « Wadisme », en fonction des époques et des lieux. Cette angoisse politique n’en est pas moins existentielle : qui, dans son entourage actuel est à même de lui survivre, en tant que personnage public et individu privé ? Quelle que soit la profondeur de leur désaccord, Wade conserve la conviction qu’avec son ancien Premier Ministre aux affaires, il peut trouver le gardien de ses temples publics et privés. La forte imprégnation par Idrissa Seck de l’assise privée et publique de la personne de Wade en fait un « fils » incontournable capable de réaliser ses vœux « post-mortem » d’un équilibre social et politique à tous ses authentiques héritiers, politiques comme biologiques. De même, d’un point de vue idéologique, au sein du PDS, M. Seck ne souffre d’aucune concurrence quant aux facultés et au volontarisme d’incarner, de conserver, d’enrichir et de diffuser la pensée, les convictions et l’œuvre politique de Wade, dans toute leur configuration originelle.

Sous cet angle, croire qu’il y avait une profonde rupture entre les deux hommes c’est faire montre d’une réelle naïveté politique. Si leurs matières se querellaient, leur esprit s’embrassait par ondes télépathiques et se réclamait comme deux époux que les contingences de l’amour mettent, pour un instant, à l’épreuve d’une nostalgie réciproque. Du 24 avril 2004 (date de publication du décret n° 2004-560 mettant fin aux fonctions de Premier Ministre de M. Seck) jusqu’à ce 12 janvier 2009, on était dans un cas de figure d’une séparation dite circonstancielle destinée à provoquer une conjoncture politique de nature à brouiller les pistes de successions pour mieux protéger Idrissa Seck. Puis, un enjeu d’importance s’est introduit dans le jeu pour finalement donner une dimension tragique au scénario de départ: l’indépendance. Pour l’un comme pour l’autre, le différend de gestion administrative (les Chantiers de Thiès) s’est mué en un duel d’autodétermination politique alimenté par des exercices de défiance réciproque sur fond de : « tu vas voir, je vais te prouver que tu ne peux exister sans moi ! » Wade lui-même conforte cette thèse lorsqu’il déclare que « entre Idrissa Seck et moi, c’est un jeu d’échecs à distance. » En réalité, Idrissa Seck sait qu’il ne peut se construire et exister politiquement sans l’onction de Wade et de son parti ; de même, ce dernier sait qu’il ne peut survivre et se réincarner dans la postérité politique du Sénégal sans Idrissa Seck. Tragiques destins !

Dans un contexte, il va de soi que le cas Idrissa Seck soit un structurant de la problématique sur le leadership libéral de l’ère post-wadienne.

Par ailleurs, le Libéralisme en tant que matrice idéologique du PDS n’est qu’une réalité fictive. Car le Libéralisme, doctrine politique qui, avec Locke et Montesquieu, s’est affirmée dans l’opposition à tout absolutisme, est, par vocation, la pratique et la promotion constante de la liberté. Or, il n’existe au PDS aucun autre membre, quel que soit son statut, en dehors d’Idrissa Seck, qui soit libre de ne pas avoir, de ne pas être, de ne pas dire et de ne pas faire comme le Chef. Il n’y a pas si longtemps, devant des militants PDS conviés à sa rencontre le 20 décembre 2008 à Paris, le Président déclarait qu’il n’a pas de pouvoir d’exclusion d’un membre du parti. Ce qui revient à dire que le PDS, comme toute formation démocratique, vit sur le fondement de textes régissant ses organes et son fonctionnement. Les décisions d’exclusion et de réadmission d’un membre obéissent donc à des procédures juridiques internes qui font appel à l’autorité des organes compétents. Sur ce fondement, la prévalence de la seule volonté de la personne physique du chef dans le retour de Idrissa Seck au sein de l’exécutif du parti épouse les contours d’une voie de fait.

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18 septembre 2008

SENEGAL: L'ETAT, LA SOCIETE ET L'INEXPERIENCE DE LA DOULEUR

Dans son poème dramatique Chaka, Léopold S. Senghor fait dire au devin Issanoussi : « Le pouvoir absolu exige le sang de l’être le plus cher.»

Depuis son indépendance, le Sénégal produit une contradiction profonde entre son statut de « modèle démocratique en Afrique » et l’allergie de ses dirigeants successifs au désir de jouissance absolue de libertés démocratiques par les citoyens. Les répressions répétées de toutes les formes d’expression de ces libertés (marches publiques, grèves de syndicats, d’étudiants, etc…), les arrestations et agressions contre les leaders politiques (Mamadou Dia sous Senghor, Abdoulaye Wade, Landing Savané, Ousmane Ngom sous Abdou Diouf, Talla Sylla, Amath Dansokho, Moustapha Niasse, Abdourahim etc … Agne sous Wade), les atteintes à la liberté de la presse (saccages d’installations de presse, emprisonnements et la brutalisation des journalistes) etc …, représentent un échantillon de ces ratés qui concourent à approfondir le fossé du passif démocratique qu’il faudra un jour solder. Chez des peuples dont on célèbre la maturité de la démocratie, ce passif a été soldé par ce qu’il nous convient d’appeler « l’expérience de la douleur purificatrice ».

En effet, tout au long de l’histoire de la sédentarisation des peuples et de l’institutionnalisation de leurs droits, la formation  d’Etats démocratiques a connu des cheminements marqués d’une succession de moments de léthargie, d’éveil, de doutes, de remises en questions, de construction, de déconstruction et de reconstruction. La solidité des fondements des Etats qui sont aujourd’hui présentés comme des références parfaites de démocratie (USA, France, Canada, Grande-Bretagne, etc…) est le solde de la neutralisation entre expériences heureuses et malheureuses, voulues ou subies. Pour parvenir au consensus permettant la fixation pérenne de fondamentaux juridiques et politiques, piliers de la pacification définitive de leurs sociétés, ces Etats ont vécu un processus de démocratisation qui a transité par des épisodes de douleur et de sang. Dans ces milieux, les instituions démocratiques, le jeu équilibré de la pratique du pouvoir politique, les principes d’Etat de droit, de justice ainsi que ceux de liberté et d’égalitarisme ayant présidé à la constitution et à la sacralisation de l’idée de nation ont été obtenus dans un cadre de confrontations cycliques au cours desquelles les différentes étapes, passives et/ou violentes, se sont relayées jusqu’à ce que la formule consensuelle du modèle démocratique idéal soit stabilisée. Les expériences à travers le monde démontrent que la démocratie est une science qui a besoin d’avancer par erreurs assumées et rectifications décomplexées. C’est de la sorte que chaque société libre et démocratique a sédimenté son socle, c’est à dire par sa capacité mémorielle à replonger dans son référent historique sanglant, afin de revisiter les fondements de son identité actuelle et de pouvoir prudemment évaluer les conséquences de ses itinéraires prochains.

Si les Etats-Unis d’Amérique sont ce qu’ils sont, de par l’attractivité et la vitalité de leur démocratie, ils le doivent à la guerre d’indépendance ou révolution américaine (1775-1783) et la Guerre de Sécession (1861-1865). Ces deux événements référentiels et fondateurs de leur histoire leur servent de background chaque fois que certains éléments sont tentés d’envisager un autre tournant à la nation américaine.

La guerre d’indépendance, du point de vue de la symbolique de la formation de l’originalité de la nation américaine est beaucoup moins significative que la seconde. Dirigée contre un adversaire exogène, cette guerre était une lutte de libération contre la couronne britannique dont l’Amérique était une colonie. Elle n’est donc qu’une expérience d’autonomisation de l’Amérique en tant qu’entité géographique, territoriale et juridique qui ambitionne sa libre administration, comme beaucoup de pays en ont connu à travers le monde.

En Europe, le fondement démocratique de la France ne peut être envisagé en dehors d’une re-contextualisation des aspirations populaires ayant conduit à la révolution française de 1789. La constitution de 1958, qui a inspiré celle du Sénégal, reprend, dans son préambule, les acquis sociaux, politiques et juridiques majeurs issus de cette expérience sacrificielle de l’auto-flagellation sanglante d’un peuple par lui-même et condensés dans la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen : « Tous les hommes naissent libres et égaux en droit… ».

En Afrique, l’Afrique du Sud, depuis 1990, prend appui sur le passé de son Apartheid pour les besoins de sa refondation sociétale. Le « pèlerinage » mémoriel des Sud africains dans ce triste référent de leur histoire légitime la définition d’invariants comportementaux auxquels le nouvel Etat sud africain et ses dirigeants sont désormais appelés à se conformer en vue d’inspirer et de mettre en œuvre l’idéal qui inspirait Nelson Mandela, celui d’une « société juste et équitable dans laquelle tous puisent vivre en harmonie et jouir ensemble de chance égale ».

Dans la sous-région, le Mali a connu son référent refondateur en 1992. L’intermède militaire du Colonel Amadou Toumany Touré (ATT) qui a relayé le face à face sanglant entre les élèves-étudiants et le régime du président Moussa Traoré a permis une véritable relance du projet démocratique de ce pays. Alpha Oumar Konaré, premier président élu de cette ère ATT a consolidé la démocratie malienne par son inclinaison devant les acquis normatifs issus de ce contexte post-expérience de la douleur.

Le Nigeria de l’ère Abacha sert de modérateur au Nigeria post-Obasanjo. L’histoire de ce pays est marquée par des cycles de remises en cause violentes du processus de démocratisation. De 1960 à 1998, l’Etat a connu, au moins six (6) expériences violentes d’alternance de régimes au pouvoir. Sous son régime, le Président Obasanjo, ayant constamment à l’esprit ce passé d’expériences de la douleur, s’est attelé à refouler en lui tout instinct de conservation du pouvoir au-delà du délai légal imparti par le peuple.

Dans un tel schéma synchronique, où la capacité de réinvention d’un Etat démocratique réside dans la fixité, au cœur de la mémoire collective, du souvenir permanent d’un événement historique qui a marqué douloureusement les esprits, le Sénégal peut-il encore être considéré comme un modèle ?

La virginité par rapport à tout référent historique refondateur ne permet pas de poser objectivement de nouveaux idéaux et d’envisager un autre format de la société, du projet républicain, de l’Etat, de son « mental » et de ses institutions.

L’exception sénégalaise flatte une naïveté qui, elle, procède du compliment de « modèle démocratique en Afrique » que lui adresse, tous les vingt (20) ans, la Communauté internationale. Ce compliment est tiré moins de la consistance et de la garantie démocratique de la structure de l’Etat que de la personnalité des leaders qui ont, jusqu’ici, été chargés d’animer cette structure. En 1980, la transmission volontaire du pouvoir à Abdou Diouf par le Président Senghor a été saluée comme un acte de courage politique et démocratique. Or, cet acte était plus la conséquence des méditations métaphysiques et solitaires d’un homme de sagesse lassé par le pouvoir temporel qu’une traduction rationnelle d’une procédure démocratique pré-établie (pas besoin de revenir ici sur la modification de l’article 35 de la constitution qui a permis à Abdou Diouf, Premier ministre, de succéder à Senghor). Il a donc suffit d’une petite allocution radiotélévisée du poète-président rendant publique sa démission en décembre 1980 pour que les vingt ans d’un régime, jalonné d’épisodes parfois très répressifs (l’affaire Mamadou Dia de 1962, Mai 68…), soient passés à la lessive par l’opinion publique internationale. Place à l’ouverture « démocratique » sous Diouf.

Le 19 mars 2000, la reconnaissance téléphonique de sa défaite par le Président Diouf réconforte une nouvelle fois le monde sur l’inflexibilité de la trajectoire démocratique du Sénégal. Le courage dont a fait montre le candidat sortant pour offrir une bifurcation élégamment démocratique à la linéarité politique du pays permet de verser un deuxième compliment de « modèle démocratique » au compte du Sénégal. Après la passation des pouvoirs le 03 Avril, Abdou Diouf a fait route pour l’aéroport, la nuit tombait sur le Sénégal. Derrière lui, 40 ans de socialisme sans interruption. On voit donc qu’il a encore suffi à Abdou Diouf d’un coup de file de « félicitations » à son adversaire pour éponger, à son tour, 20 ans de démocratisation molle, de refus d’alternance politique et d’épisodes peu commodes en démocratie : arrestations d’opposants politiques, répressions de contestations populaires, emprisonnements de syndicalistes, containment de la liberté d’expression etc…

Du nouveau président, le peuple exigea impatiemment le relèvement rapide de quelques défis : Lutte contre le chômage, la corruption, assainissement des finances publiques, meilleure gestion des ressources publiques et leur juste redistribution sociale, garantie des droits fondamentaux et des libertés individuelles, une bonne école publique pour tous, promotion de la bonne gouvernance etc… Mais le Président Wade pourrait lui aussi saisir un moment opportun de son mandat pour poser un geste démocratiquement grand aux yeux de la communauté internationale et ainsi  pouvoir passer l’éponge sur tous les tacles portés contre l’Etat de droit depuis 2000. La démocratie sénégalaise est donc la prouesse humaine d’un instant, et non ce que l’on fait tous les instants. Les périodes hors élections sont des intermèdes où tout est permis. La feinte de dernier moment qu’ont servie les présidents Senghor et Diouf, et que servira probablement Wade, ne constitue qu'un anesthésiant qui accroît la naïveté collective sur le mythe de l’exception démocratique du Sénégal en Afrique. En réalité, c’est au moment où ils étaient profondément lassés par le pouvoir (2O ans chacun) que les premier et deuxième présidents ont pensé à signer l’acte de naissance de leur stature démocratique en se disant, peut-être : « Oui, cette fois-ci, ça suffit, j’en ai marre, je m’en vais ! »

A son arrivée, le Président Wade a institutionnalisé le droit de marche comme principe démocratique à valeur constitutionnelle.

La conquête de droits par la marche, c’est idéal et grandissant. Il n’y a qu’à penser à Gandhi, à Martin Luther King. Mais la marche n’a de sens que dans des sociétés à démocratie fortement sédimentée. Chez ces dernières, elle a une portée dissuasive et préfigure, pour les gouvernants, un avant-goût de ce que pourrait être la dimension quantitative de la colère du peuple s’ils n’arriment pas leurs choix politiques du moment sur les aspirations populaires jusque-là pacifiquement exprimées. Sous cet angle, la marche est une version civilisée des barbarismes et anarchismes qu’occasionnèrent les absolutismes monarchiques durant les siècles derniers (style Louis XIV en France).

Si le Sénégal n’a jamais connu d’absolutisme monarchique, il a toujours été constamment en proie à la patrimonialisation absolue de l’Etat. De Senghor (1960-1980) à Wade (2000<) en passant par Diouf (1981-2000), le modèle démocratique sénégalais est resté le même : un refuge peu protecteur. Aucun formalisme par voie de droit n’est à même de permettre une avancée matérielle du projet démocratique d’ensemble. Et pour causes : élections à la transparence douteuse, fragilité de l’architecture constitutionnelle, (in ?)-dépendance de la justice, corruption dans l’administration publique, inégalité des citoyens devant le service public, constante remise en cause des libertés fondamentales etc… Ailleurs, contre ces anomalies des républiques, l’expérience de la douleur sacrificielle a permis de faire bouger les choses. Or, depuis 1960, les Sénégalais n’ont jamais eu vraiment peur, ni souffert par sacrifice patriotique, ni leurs gouvernants n’ont été suffisamment effrayés dans leur pratique du pouvoir. Le mardi 08 avril 2008, un homme s’incruste au sein de l’Assemblée Nationale et déploie à l’intention des députés, en plein examen d’un projet de loi, un sac vide sur lequel était écrit ce message : « le peuple a faim » ! L’acte de ce « révolté » pacifique qui a eu « tord » d’exprimer en solitaire un cri populaire devant les représentants de la nation, marquerait, ailleurs, le point de départ d’un rapport frontal entre Bas Peuple et Haut Peuple. Car ce qui est symbolisé par ce cri écrit, c’est une profonde demande populaire d’une remise à plat d’une vielle politique systémique qui a brillé par l’accentuation de la classification de la société entre  Sénégalais bling bling et Sénégalais badolos.

Si le Sénégal s’extasie d’une exceptionnalité naïve qui a montré ses limites, cela tient au fait que, originellement, l’enfantement de la souveraineté du pays ne s’est pas faite dans la douleur comme dans d’autres anciennes colonies françaises. Le Sénégal indépendant est né de la rhétorique amiable d’une élite politique portée par un homme (Léopold Sédar Senghor) et du consentement juridique d’un autre (le Général Charles De Gaulle). Depuis lors, sur le chemin de sa construction endogène, aucun événement populaire douloureux n’a été posé pour servir de base à la sacralité des principes démocratiques devant présider au destin collectif et de régulateur au comportement des dirigeants et des citoyens. L’absence d’un tel référent historique explique la banalisation des institutions de la république par les uns et la relativisation du civisme par les autres. Il manque ce référent de la douleur comme les Ivoiriens ont le leur aujourd’hui, comme les Sud africains, les Nigérians, les Maliens, les Français, les Américains en ont eu dans leur histoire.

Le binôme déconstruction-reconstruction est un mal nécessaire lorsqu’un peuple sombre dans un parcours « wiri wiri » (tourner en rond) qui l’empêche de savoir réinventer son esprit et son destin afin de mieux se re-propulser dans le temps. Elle est l’occasion expiatoire de souffrir physiquement et durement, mais une seule fois, pour en finir avec toutes ces rampantes petites souffrances morales nées de ces hachures de la société sénégalaise où l’Etat est d’un côté avec ses certitudes, le peuple de l’autre avec ses inquiétudes, la république, nulle part. Ce n’est qu’à l’issue des Etats généraux qui suivent généralement toute expérience de la douleur et du sang que le pays pourrait espérer entrer dans une nouvelle ère où sera posé le choix définitif de l’option démocratique (assise constitutionnelle, institutions stables, neutralité de l’administration publique, séparation effective des pouvoir etc …) et clarifié, le rapport entre l’Etat et les différentes réalités sociétales (confréries religieuses, chefferies traditionnelles et coutumières, groupements économiques etc …).

ALASSANE MAMADOU NDIAYE

25 janvier 2008

LETTRE OUVERTE SUR MONTESQUIEU ET L'ESCLAVAGE

Lettre ouverte à un Professeur de Lettres (Evry, France) à ses élèves de 1ère ES3 du 12/12/07, à propos d'un Devoir portant sur "l’esclavage des   nègres", texte extrait de De L’esprit des lois (XV, 5(1748)) de Montesquieu.

Madame,

Vous avez donné un devoir – commentaire - à faire en classe à vos élèves de 1ère ES3 ce 12 décembre 2007 sur le texte « De l’esclavage des Nègres », extrait de « De l’esprit des lois » (XV, 5 (1748)) de Montesquieu.

Sur une copie d’un élève qui commentait que l’auteur soutient la funeste entreprise d’esclavage des Noirs, vous avez porté, au-delà d’une piteuse note, les observations ci-après : « Texte non compris : Contresens. C’est un auteur des lumières tout de même !!! Il est CONTRE l’esclavage ! »

Ces observations m’inspirent, Madame, le commentaire que je m’autorise ici à vous soumettre.

Mais au préalable, je vous saurais gré de bien vouloir accorder bonne foi au fait qu’il n’est aucunement dans mon intention de remettre en cause la souveraineté de votre appréciation sur le travail de vos élèves.

Cela étant, madame, pensez-vous pouvoir rendre un service posthume à l’auteur en enseignant à vos élèves le contraire de sa pensée et de son projet intellectuel qui sont, au travers de ce texte, de « soutenir le droit que nous [Blancs] avons eu de rendre les nègres esclaves » (lignes 1 et 2) ?

Toute bonne conscience intellectuelle doit être heurtée lorsque Montesquieu repose la rentabilité de l’industrie agricole de l’Europe sur la conviction que « le sucre serait trop cher, si l’on ne faisait travailler la plante qui le produit par des esclaves » (ligne 6) ?

Considérer un tel argument comme une plaidoirie de la cause de l’esclave participe de la justification commerciale du bien-fondé de l’esclavage ; interpréter aux élèves cet argument comme un positionnement de Montesquieu contre l’esclavage, c’est s’abandonner à une profanation même de l’esprit de l’auteur ; c’est écrire l’histoire à contre-courant en tentant, par un contre-enseignement, d’étouffer les compromissions voulues, recherchées et obtenues, d’une meilleure part de l’intelligentsia littéraire, scientifique, philosophique et religieuse française de l’époque (18è siècle) avec toutes les tristement célèbres entreprises de déshumanisation de l’Homme Noir : esclavage, colonisation !

Considérer comme jugement pro-Nègre l’idée que  « […] les nègres n’ont pas le sens commun, […] qu’ils font plus de cas d’un collier de verre que de l’or qui, chez des nations policées, est d’une si grande conséquence » (lignes 21 à 23), c’est incontestablement torpiller à dessein l’orientation intellectuelle d’un certain côté du génie littéraire et juridique d’un Montesquieu qui, à un moment de sa production, s’est réfugié allègrement dans la prose d’une élite hâtée de bannir le Nègre de l’essence même de l’humanité.

Il n’y a pas de honte, Madame, à le dénoncer ! Certes, Montesquieu a été « tout de même un écrivain des Lumières » (comme vous l’écriviez), mais force est de reconnaître que le voltage de sa « Lumière » a été tellement élevé qu’il a calciné l’âme du Noir ! L’homme aura été illuminé au point, consciemment ou inconsciemment, de se fourvoyer dans des doctrines d’aliénation de peuples « Autres » - ici Noirs !

« Il est impossible d’envisager que nous [Blancs] supposions que ces gens-là [Nègres] soient des hommes ; parce que, si nous les supposions des hommes, on commencera à croire que nous ne sommes pas nous-mêmes des chrétiens », dit Montesquieu, (lignes 9 à 11).

Nier là l’existence d’un désir de se délecter de « l’inhumanité » de l’homme noir, n’est-ce pas demander à vos élèves de renoncer à l’idéal d’une « Internationale Fraternelle » que l’école républicaine, égalitariste, multiculturelle, « multiraciale », multi…X., multi…Y etc… permet de vivre ? N’est-ce pas leur demander de taire toute révolution intellectuelle contre tous systèmes intellectuels qui ont conçu et œuvré, qui conçoivent et oeuvrent, qui concevront et oeuvreront à la barbarisation, à la chosification de l’Autre –ici du Nègre ? N’est-ce pas finalement, madame, leur ôter tout réflexe de justice et donc, leur intimer l’ordre de cesser d’être animés de tout instinct d’amour de l’Autre ?

En outre, que faut-il comprendre, madame, lorsque Montesquieu, de façon aberrante et fallacieuse dit qu’« « On ne peut se mettre dans l’esprit que Dieu, qui est un être très sage, ait mis une âme, surtout une bonne âme, dans un corps tout noir » (lignes 10 à 12) ? Ne trouvez-vous pas là un exercice de justification divine de « l’infériorité » de l’Homme Noir ? Cet Etre que bien d’écrivains « négrocides » du siècle des « Lumières » justement - Montesquieu ici ne représente que la face émergée - ont tenté d’enfouir dans les ravins de l’inhumanité ! Trouvez-vous dans ce propos quelque thèse plaidant le replacement du Noir au cœur de l’histoire et de l’itinéraire de l’HUMAIN tout court ? Si vous y parvenez, alors, bravo Madame et mention spéciale ! Mais dans ce cas, de deux choses, l’une : soit vous avez le génie de donner un millième sens implicite à chaque phonème, à chaque morphème et à chaque mot de la langue française (tous les autres lecteurs de la planète francophone passant dès lors à côté de la compréhension), soit c’est le sieur Montesquieu qui était tellement ébloui par l’éclat des « Lumières » du 18ème siècle qu’il a fini par se méprendre dans le jeu sémantique du Français et, en conséquence se compromettre dans des phraséologies racistes du Nègre « sauvage », « sans âme », « hors de l’histoire », « sans civilisation » ! Excuse que notre bonne conscience ne saurait concéder à un homme que l’histoire de la littérature française classe – à tort à notre avis - dans la catégorie de ceux qui ont « illuminé » les temps du monde par son « esprit des lois », son « intransigeance » sur la « liberté, l’égalité, la fraternité » et son « amour » de la « justice ». 

Je comprends… ! Je comprends.. !

Oui, je comprends, madame, votre gène à révéler à vos élèves la portée historiquement et philosophiquement réelle de ce texte ! Mais encore, aurait-il fallu ne pas le leur soumettre !

Oui, je comprends que vous ayez honte de ce côté funeste du legs littéraire et idéologique de la France à l’intelligence de l’humanité ! Mais, ne vous en faites pas ! Vous n’y êtes pour rien, même si, en tant que fille de cet Occident démocratique d’aujourd’hui, héritier de cet autre Occident esclavagiste et liberticide d’antan, vous partagez une part de responsabilité historique, intellectuelle et morale dans l’ensevelissement des identités et des essences des autres peuples du globe, eux aussi, fils de Dieu, de Jéhovah ou d’Allah (c’est selon) ! Simplement, vous me permettrez de vous rappeler qu’ils sont légion en France, ces écrivains humanistes, moralistes du 18ème siècle, qui, emportés par la tortuosité philosophique d’une certaine élite intellectuelle de ce bel âge de l’histoire de l’Europe, ont contribué à assombrir l’humanité par leur complicité avec la verve hégélienne sur la primitivité des Noirs.

N’ayez pas honte, donc, madame !  Car, même le grand humaniste et moraliste, Victor Hugo, 52 ans après la Révolution Française de 1789, a cédé face à ce fantasme de se délecter de « l’inhumanité » de l’Autre, se rendant, du coup, complice du complot « civilisateur » de la France : « notre nouvelle conquête - dit-il le 09 Janvier 1841 au Général Bugeaud qui venait d’être nommé Gouverneur Général d’Algérie- est chose heureuse et grande. C’est la civilisation qui marche contre la barbarie. C’est un peuple éclairé qui va trouver un peuple dans la nuit. Nous sommes les Grecs du monde ; c’est à nous d’illuminer le monde. »

Que le Seigneur vous garde, madame, en ce vingt-et-unième siècle, de cette forme de « lumière » pour « illuminer » vos élèves, madame !

Vous me permettrez, au demeurant, de vous dire que, toutes proportions gardées, je conserve, Madame, l’assurance de ne pas me tromper en déclarant que votre mission n’est pas de faire croire aux enfants – de surcroît Noirs - que le Père Noël n’a jamais existé. En le faisant, vous les déconnectez du bonheur du « Royaume d’Enfance » que la croyance insouciante aux mythes berceurs de l’enfance permet de vivre.

Tout autant, cette mission n’est pas non plus de contribuer à l’intégration pleine et entière des enfants français issus de l’immigration en leur inculquant les éléments d’un désaveu naïf de la singularité du cheminement historique de leur « race » dans ses rapports aux autres « races ». En le faisant, vous faites dans la dés-éducation ! (Au passage, permettez-moi ce mot race dont je me prive, du reste, de faire usage en toutes circonstances, parce que pour moi, contrairement à Montesquieu qui estime qu’ « il est si naturel de penser que c’est la couleur qui constitue l’essence de l’humanité » (lignes 13-14),  le recours à ce concept ne permet de valider aucune hypothèse scientifiquement pertinente sur l’expérience humaine).

L’avenir de toute République ne peut se construire sur des dissimulations de l’histoire ! Dites-là telle qu’elle a eu lieu ! Dire que les plus grands écrivains et intellectuels français à travers les siècles ont participé à théoriser la domination des autres peuples, ce n’est pas être traître aux causes de son pays, d’hier, d’aujourd’hui ou de demain ! Toute autre démarche ne serait que contre-vérité, un négationnisme provocateur propre à engendrer des méconnaissances de soi, des méfiances réciproques, des déchirures d’ensemble et donc une désagrégation de l’esprit de nation !

Tout en vous souhaitant tout le bonheur du monde en ce nouvel an 2008, je vous prie de croire à l’expression de mes sincères sentiments !

A. M. Ndiaye

Paris, le 22 janvier 2008

            

21 octobre 2007

TESTS ADN EN FRANCE : L’EMBARGO D’UNE REPUBLIQUE NARCISSIQUE !

(Par Alassane Mamadou Ndiaye)

Serrez vos ceintures ! Vous « Autres Etrangers » qui vivez en France ! L’horloge du puritanisme est en marche! Le « diable de la République » a agi : Thierry Mariani, député de l’Union pour une Majorité Présidentielle (UMP), celui par qui le « scandale » est arrivé, auteur de l’amendement, à l’Assemblée Nationale, qui propose que les étrangers vivant en France et qui sollicitent des visas de regroupement familial pour leurs enfants restés au pays se soumettent à un test ADN en vue de vérifier la véracité du lien de filiation biologique entre parents et enfant. Depuis la révélation à l’opinion publique de l’introduction de cette disposition au projet de loi initial du ministre de l’Immigration et de l’Identité Nationale qui durcit les conditions d’entrée des étrangers en France, le Sieur Mariani est devenu le capteur parlementaire des coups de désamour dirigés contre Brice Hortefeux, patron dudit ministère, lequel se voit en petit « dieu » investi d’une mission de « purification » de la France contre la peste « Immigrés ».

Avant son installation à l’Elysée, Sarkozy avait été totalement honnête sur les couleurs de son quinquennat. Dès lors, l’immigré en général, et l’immigré africain en particulier,  pouvait deviner que, dans les positions tranchées du candidat de l’UMP sur l’immigration, sur certains de ses aspects, et sur l’ensemble des questions relatives aux rapports futurs de la France avec l’Afrique, tout pourrait désormais être dit, autorisé et fait sur lui, en France, en Europe et même en Afrique ! L’esprit du député Mariani n’est que la première des multiples doublures de cette optique. Jusqu’ici quasi-anonyme, voici le député du Vaucluse qui, par la force des circonstances, gagne en célébrité et devient, bon gré, malgré, le « diable de la République » pour les uns, la vedette de la majorité présidentielle et premier héros, pour les autres, de la politique « sarkozienne » de maîtrise de l’immigration.

Nonobstant des controverses, entre les tenants d’une ligne, humaniste et universaliste, s’inscrivant dans la tradition d’accueil d’une « France, terre d’asile » et les tenants d’une posture orthodoxe repérable dans le chauvinisme conservateur d’une frange de la Droite UMP, l’esprit de l’amendement finira par être intégré au dispositif législatif d’ensemble proposé par Monsieur Hortefeux. Après une valse entre l’Assemblée Nationale et le Sénat, une formulation consensuelle est finalement trouvée entre les deux chambres du parlement par une Commission paritaire composée de sept (7) députés et de sept (7) sénateurs qui adoptera le texte de loi, le mardi 16 octobre 2007. Des retouches ont apportées ça et là pour faire bonne figure et contenter une autre France qui a « honte » qu’une loi de sa République autorise la pratique des tests ADN sur des individus, non criminels, ne cherchant qu’à rejoindre leur famille en territoire français. Certes, la version finale du texte adopté est plus « soft » que celle que proposait l’amendement Mariani, en raison, notamment, du conditionnement, par la deuxième chambre (Sénat), desdits tests au « volontariat du requérant, à la seule vérification de la filiation maternelle (l’époux étant exonéré pour éviter des drames conjugaux), à l’approbation par décision d’un juge et à la prise en charge des frais par l’Etat français ». Mais les parlementaires et défenseurs UMP de ces tests ADN ont manqué de pédagogie en tentant de les présenter comme devant « faciliter l’accélération des procédures de regroupement familial », comme « cela se fait déjà dans douze autres pays européens dont la Belgique, la Grande-Bretagne etc… ». Très bien ! Seulement déjà en 1685, Louis 14 avançait un souci « d’adoucissement des conditions de vie des esclaves dans les Antilles françaises » pour justifier son fameux « Code Noir ». La suite, on la connaît !

Qu’on ne s’y perde pas en conjectures et autre jeu de question-réponse ! Cette loi a un destinataire, une cible : l’immigré négro-africain de l’Afrique au Sud du Sahara ! Ce n’est rien d’autre qu’un embargo total contre ce qui est perçu comme une « importation » abusive et déguisée en France d’une pratique tropicalo-exotique du lien parental illimité telle qu’elle est en vigueur dans les pays d’Afrique Noire. Voilà pourquoi, mis à part le fait qu’elle soulage le chauvinisme mégalomaniaque de ceux qui doutent encore de la « civilisabilité » de l’homme Africain, elle reconfigure même le continent africain en le bipolarisant entre « l’Axe du bien » (pays du Maghreb :Algérie, Maroc, Tunisie) au fichier d’état civil qualifié de fiable et « l’Axe du mal » (l’Afrique Noire), l’éternelle victime de la suspicion occidentale, au fichier d’état civil pas du tout fiable. Doit-on s’en offusquer ? Sincèrement, non ! Pas besoin ! En réponse, il faut simplement « boul falé » (positiver), comme disent les Sénégalais !  L’Internationale Anti-Noire ne date pas de cet amendement. De tout temps, des institutions religieuses, philosophiques, juridiques, scientifiques, littéraires, anthropologiques, économiques etc… ont toujours étés mobilisées au service de cette « cause ». La première interdiction totale de séjour, par exemple, des Noirs sur le territoire « français » date de 1777. Elle sera même rééditée en 1818, vingt neuf ans après l’euphorie de la Révolution et la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme de 1789 dont l’article 1er ne concernait pas encore les Noirs. De cette date, à cette loi sur les tests ADN, en passant par la mise en place par décret présidentiel de mars 2005 d’une « Haute Autorité de Lutte contre les Discriminations et pour l’Egalité » (HALDE), il s’est succédé une pléthore d’exercices réglementaires et législatifs pour combattre les discriminations et l’immigration dans la forme, mais dans le fond pour contenir la « négro-immigration », plus visible à l’œil nu. 

La présomption de fiabilité partialement accordée au fichier d’état civil des pays du Maghreb n’étonne pas, parce qu’en dehors de la « rivalité » sur fond théologique entre le Christianisme et l’Islam, il y a, entre le Maghrébin et l’Européen, un cousinage par l’épiderme, à quelques différences prés. Or, en dehors du rythme élevé de la procréation, les familles négro-africaines et maghrébines ne se rejoignent sur aucune autre unité de point quant à la conception du lien parental. A ce titre, il est intéressant de noter que dans des familles algériennes, marocaines ou tunisiennes en France, il est presque impossible de trouver un enfant qui n’appartienne pas biologiquement et génétiquement au couple et qui soit venu en France dans le cadre d’un regroupement familial. Dans ces familles, même si le lien parental s’étend aussi au-delà du simple rapport biologique au géniteur ou à la génitrice, il n’est pas fréquent que des enfants issus de père et de mère différents, fussent-ils neveux ou frères de ces derniers, se regroupent en France pour former un foyer familial administrativement unitaire, comme c’est le cas dans la plupart des familles originaires d’Afrique subsaharienne.

Tout compte fait, à Gauche comme à Droite, à l’Extrême-Gauche comme à l’Extrême-Droite, au Centre, au Centre-Gauche comme au Centre-Droit, il y a l’aveu, en sourdine, que cette loi, remet en scelle les errements d’une République tiraillée entre son angélisme humanisto-universaliste et les équations de politique intérieure régentée par l’enjeu de la captation et de la capitalisation d’un corps électoral qui ne lit les défis et autres problématiques planétaires qu’à travers le prisme de ses préoccupations domestiques et immédiates ; bref, une République prise au piège de son narcissisme et écartelée entre son amour propre et l’amour de l’Autre, entre son désir d’humanité et son instinct de la nation, entre l’homme de la France et l’Homme du monde.   

A chaque élection présidentielle, les électeurs écoutent, lisent et comprennent les programmes et discours des candidats les plus implicitement chauvins, leur donnent leurs voix. Puis, quand vient le moment de leur mise en application, le dilemme s’installe, on découvre que le monde entier regarde la France et que, pour l’image du pays au dehors, il ne faut pas torpiller les valeurs et acquis séculaires du dedans. Alors, chacun dit « je ne suis pas d’accord », tout le monde descend dans la rue, les slogans « Liberté ! Liberté chérie ! », « Egalité, fraternité » grassement inscrits et brandis sur les pancartes pour « protester » contre des mesures qui « biaisent » l’image de la République. Qui, en France, avant l’élection de Nicolas Sarkozy ignorait la raideur des positions du candidat de l’UMP sur les questions de l’immigration ? Qui, avant, pendant et après les élections n’a pas été informé de la création de ce « machin » maladroit qu’on nomme « Ministère de l’Immigration et de l’Identité Nationale » en charge aujourd’hui de « nettoyer » l’Hexagone ? Qui ignore, par la suite, le passé d’Extrême-Droite de Brice Hortefeux, patron de ce ministère, à qui Sarkozy a confié le « karchër » pour concevoir et exécuter les « solutions finales » contre les étrangers en « situation irrégulière » ? Quelles que soient les déclinaisons données au texte définitif, il y a manifestement, d’un côté comme de l’autre des pôles politiques en présence au parlement français, une détermination à en vaincre l’immigration, un sujet qui, à chaque élection présidentielle, fait ou défait des présidentiables à cause de l’étroite connexion déduite par les politiques de tous bords entre ce sujet avec ceux de l’insécurité, du chômage, de la protection sociale, du logement, de la santé etc… Ceci est vrai tant pour la Gauche socialiste qui proteste si mollement et si prudemment du bout des lèvres, que pour la majorité UMP, tellement craintive face à la « superpuissance » de « l’omniprésident » Sarkozy que chacun de ses parlementaires tressaille à l’idée de devoir « ramer » à contre-courant de l’Elysée.

La réaction de Charles Pasqua, à l’annonce de l’existence de l’amendement de Mariani, est pleine d’enseignement à ce titre : « La première fois », dit-il, « que j’ai vu un régime qui « génétise », qui « biologise » les questions d’identité humaine, j’avais 15 ans, j’avais les armes à la main et je combattais ce régime ! » Ce propos de l’ancien tout-puissant ministre de l’intérieur du gouvernement d’Alain Juppé en 1995, celui par qui le « malaise » de la France face au cas des « sans-papiers » a été porté au jugement de la rue, ancien ténor du Rassemblement Pour la République (RPR), le parti gaulliste, ancêtre de l’UMP, est assez révélatrice de cette ambivalence du discours « humaniste » et « universaliste » du pays de Voltaire, le rédacteur du « Traité sur la tolérance ». Cette alerte du vieux Pasqua, concepteur de la politique des Charters des années 1990, prédécesseur de Monsieur Sarkozy à la tête du Conseil Général des Hauts-De-Seine (92), est une mise en garde assumée contre un détournement de l’usage de la science au service d’une idéologie politique, méthode qui renvoie, hélas, au passé récent de la codification et de la classification des hommes en fonction de leur origine génétique. L’histoire ne manque pas de repères où de telles applications scientifiques ont servi à légitimer les camps de concentrations, les rafles et déportations du Vélodrome d’Hiver des 16-17 juillet 1942 au cours desquelles, 12 884 Juifs étrangers furent arrêtés à Paris, sur ordre des autorités allemandes, avec la collaboration de la police parisienne.

Patrick Devedjean, Député et Secrétaire Général de l’UMP, se dit « blessé » dans sa dignité de parlementaire par Fadéla Amarra, Secrétaire d’Etat à la Politique de la Ville, d’origine maghrébine, qui trouve « dégueulasse » qu’on « instrumentalise l’immigration ». Mais l’homme n’éprouve aucun regret face à cette insulte que lui et ses collègues de la majorité présidentielle, ont proférée, via de cette loi, à l’endroit de millions de citoyens d’Afrique ainsi qu’à leurs dirigeants légitimes. En procédant par tri discriminatoire entre Etats dont le fichier d’état civil est jugé fiable (Maghreb) et ceux dont il est jugé non-fiable (Afrique Subsaharienne),  le parlement français opère ouvertement une hiérarchie du respect à l’endroit des Etats africains. Ceux dont on ne doit jeter aucune suspicion sur les ressortissants (Algérie, Maroc, Tunisie) et ceux dont les structures seraient désorganisées, parce que dirigées par des esprits sans méthode, « dépourvus de toute aptitude à l’organisation politique et du don de gouvernement » pour reprendre le propos outre-atlantique de Lansing, Secrétaire d’Etat du Président Wilson, parlant des expériences du Libéria et d’Haïti.

A la suite de ces deux commentaires, celui du Premier Ministre, François Fillon, n’a pas vu mieux en cet amendement de Mariani qu’un petit « détail » qui ne mérite pas qu’on en débatte. Or, un coup d’œil au rétroviseur permet de comprendre qu’il ne s’agit que d’un continuum, chez une certaine classe politico-intellectuelle, de la délectation ambiante de clichés barbarisant « l’Autre », « l’Etranger », l’Africain plus exactement, et qui n’ont de cesse de traverser la France à travers ses textes, officiels ou non : il y a, entre autres, cette « Afrique, […] Ubuland sans frontières, …mouroir de tous les espoirs, océan de malheurs", cette « âme africaine qui pousse plus à l’indolence qu’à la rentabilité »  dans, « Négrologie, pourquoi l’Afrique meurt » de Stephen Smith, paru chez Calmann-Lévy en 2004 ; il y a eu cette «  bite des Noirs responsable de la famine en Afrique » et l’appel hitlerien à la « stérilisation de la moitié de la planète » dans « Le Privilège des Jonquilles » de Pascal Sevran, paru en janvier 2006. Même le grand humaniste et moraliste, Victor Hugo, en son temps, a cédé face à ce fantasme de se délecter de « l’inhumanité » de l’Autre, se rendant, du coup, complice du complot « civilisateur » : « notre nouvelle conquête - dit-il le 09 Janvier 1841 au Général Bugeaud qui venait d’être nommé Gouverneur Général d’Algérie- est chose heureuse et grande. C’est la civilisation qui marche contre la barbarie. C’est un peuple éclairé qui va trouver un peuple dans la nuit. Nous sommes les Grecs du monde ; c’est à nous d’illuminer le monde. »

Il apparaît clairement que toute la constance de la nouvelle politique d’immigration repose sur ce constat amer : agiter le caractère effrayant de « l’Autre » afin de le confiner dans ce qu’il a et est d’autre !

Il n’y a pas si longtemps, les Préfets jugés complaisants à l’égard des « sans-papiers » vivant dans leur département ont été sermonnés par Brice Hortefeux en guise de rappel du nouvel ordre politique à respecter : faire vite le résultat en matière d’expulsion de « clandestins », soit un cap de 25.000 expulsions en 2007. Un objectif quantitatif de rafles donc qui, comme six décennies auparavant à l’endroit des juifs, a le mérite de ne pas ennuyer la police française. A cette « Politique du chiffre », s’ajoute celle dite des « Quotas Géographiques », « qui n’est, en réalité, qu’une sélection des individus en fonction de leur origine ethnique » même si elle « viole un principe constitutionnel français », selon le philosophe Bernard Henry Lévy. Dans tous les cas de figure, tout se ramène à une question du rapport de soi à l’autre, à l’inconnu perçu comme envahisseur ; à une question de la perception qu’on a de ce que l’Autre a d’autre, de ce qu’il est en tant qu’autre. Dans l’imaginaire de soi, il convient que cet Autre cesse d’être ce qu’il est pour que l’on puisse véritablement constater qu’il est ! Ramené dans ce cas d’espèce, dans l’esprit de la loi amendée par Monsieur Mariani, il faut tout simplement que l’Africain du Sud du Sahara renonce à sa conception sur l’étendue du lien parental (père – mère – oncle – tante – beau-fils – neveu – cousin – fils de l’ami, du voisin, de…, de.. etc.…) ; qu’il renonce à sa vision des relations inter-humaines, à l’excès de sa solidarité dans l’amour du prochain ; qu’il acclimate et arrime tout ce « patchwork » de valeurs multiformes, multidimensionnelles et multicolores, à la conception unidirectionnelle et triangulaire qu’a l’Occident de ce lien parental (père – mère - fils) pour que celui-ci puisse véritablement être établi, validé et admis. D’où, à défaut d’une démarche « progressiste » des Africains eux-mêmes pour rentrer dans ce triangle, se justifie un recours à la science génétique pour trier les entrées dans la citadelle France.

De meetings en meetings comme ceux de Toulon du 07 janvier 2007, de Caen et Nice du 30 Mars 2007, le candidat Sarkozy n’avait jamais lâché sa logique d’égrainage de symboles iconoclastes qui dédouanent unilatéralement et partialement la France de sa part de responsabilité dans l’histoire occidentale de « diabolisation » et de « dé-civilisation » de l’Autre, de l’Africain. Le thème de la « Fierté française » lui inspirait cet ordre péremptoire adressé aux Français de « ne jamais sombrer dans la démagogie de la repentance ». Car selon lui, « sa grandeur, la France la doit aux femmes et aux hommes » qui furent à la fois « témoins et acteurs » de cette « œuvre civilisatrice sans précédent dans notre histoire » « que fut l’œuvre coloniale ». Avant d’ajouter que « si la France a une dette morale » par rapport à son passé colonial, c’est d’abord et « seulement à l’égard des Français d’Algérie et des Harkis qu’elle a lâchement abandonnés[1] », lors de la guerre d’Algérie (1954-1962). Pas, donc, une once de regret pour des millions de vies fauchées en Afrique et au Vietnam, pendant la colonisation ou pendant d’autres guerres d’occupation au nom de cette même « grandeur civilisatrice » de la France ! Ni même un modeste mot de recueillement pour ces Tirailleurs Sénégalais qui combattirent le nazisme pendant la seconde guerre mondiale pour la liberté d’une nation qui n’était pourtant pas la leur ; pas même une sympathie mémorielle pour ces milliers d’hommes qui « sur le champ de la défaite, ont replanté leur fidélité » à la métropole lorsque « Dieu, de sa main de plomb, avait frappé la France » (Léopold S. Senghor) !

Le même souci d’auto-déculpabilisation se poursuit depuis le 16 Mai 2007, date à laquelle le Président a « habité sa fonction ». D’abord, la réception, à l’Elysée, le mercredi 20 juin 2007, de Jean Marie Le Pen, réception placée sous le signe de « la rupture » et de « l’ouverture du dialogue avec tous les Français » : c’est son rôle ! Le leader du Front National (FN) s’était vu exclu d’un tel honneur sous la Ve République, hormis les deux seules réceptions offertes pendant l'intérim d'Alain Poher, du 28 Avril au 19 Juin 1969, puis du 2 Avril au 19 Mai 1974. Puis vint le fameux discours du 26 juillet 2007 à Dakar à l’occasion duquel Sarkozy déclina allégrement son cantique : sur « l’homme africain [qui] n’est pas assez entré dans l’histoire », sur «  le paysan africain qui, depuis des millénaires, vit avec les saisons, dont l’idéal de vie est d’être en harmonie avec la nature [et qui] ne connaît que l’éternel recommencement du temps rythmé par la répétition sans fin des mêmes gestes et des mêmes paroles », sur cet « imaginaire africain où tout recommence toujours », où « il n’y a de place ni pour l’aventure humaine, ni pour l’idée de progrés. » C’est ce qu’en français raccourci ou moins élaboré, on dira « pérorer à longueur de journée, sans utilité aucune à la marche du monde » ! C’est cela aussi la rupture avec Sarkozy : prendre le contre-pied de la marche de l’histoire dont on pensait, naïvement peut-être, que jamais elle ne serait plus remise en cause par un quelconque retour de la phraséologie hégélienne sur « le nègre sans culture », « l’irrationalisme » africain, l’infirmité dialectique de l’Africain et « la table rase » de son histoire. On peut se demander comment une telle offense à peuple étranger, qui se généralise autour de l’identité géographique (« jeunesse africaine, l’âme africaine, le paysan africain, la réalité africaine, le problème africain etc… »), a pu consciencieusement naître de la plume funeste d’Henry Guaino, l’idéologue et sculpteur de la pensée de Sarkozy, être approuvé par un Président d’une République de Voltaire, de René Cassin, décoller de la Bastille, puis atterrir dans un aéroport du pays du poète universaliste, Léopold Sédar Senghor, pionnier de la fraternité francophone, pour être lue à haute voie officielle dans un auditorium d’une université qui porte le légendaire nom de Cheikh Anta Diop, à deux pas de la maison des esclaves à Gorée, sous l’oreille docile d’un Abdoulaye Wade, auteur du plaidoyer panafricain autour d’« Un Destin pour l’Afrique » ! Curieuse époque !

                    NDIAYE ALASSANE MAMADOU

                                andiaye5@yahoo.fr 

                                        

[1] Voir Bernard Henry Lévy, Ce grand cadavre à la renverse, Paris, Grasset, Octobre 2007.


7 octobre 2007

LA GENERATION DU CONCRET : LA DIFFICILE QUETE D’IDENTITE

  Depuis le lancement de l’expression, la Génération du Concret (GC) se présente comme un mouvement de rupture dans l’orthodoxie politique sénégalaise en vue de rétablir le lien entre les populations et le système politique. Un nouvel objet politique impulsé par une nouvelle Génération d’acteurs publics soulevés par une autre idée de la mission publique. Une Génération qui se veut porteuse d’une nouvelle pensée du service de l’Etat et dont la crédibilité du discours et de l’image qu’elle renvoie au peuple procède du talent et de la compétence professionnels qu’elle recèle. En effet, même si Karim Wade (KW) et Abdoulaye Baldé (AB) ne sont pas des absolutistes de la technocratie étatique, tout dans leur slogan augure l’engagement de sanctuariser l’Etat technocratique autour du pragmatisme et du volontarisme, en le dépoussiérant en profondeur de la couche du tout-politicien qui a jusque-là empêché l’éclosion de véritables talents dans tous les domaines d’activité au Sénégal. Tout dans cette perspective affiche les symptômes précurseurs d’un mouvement révolutionnaire.

           Seulement, une révolution ne peut se faire sans véritable projet révolutionnaire, soit-il de gauche ou de droite ; une révolution ne peut se faire sans finalité précise, soit-elle poursuivie sur le court, moyen ou long terme ; une révolution ne peut se faire non plus sans armes, soient-elles idéologiques, politiques, administratives, culturelles ou économiques…, ni sans hommes, soient-ils vieux ou jeunes, travailleurs ou chômeurs, riches ou pauvres. Ce lien trilogique entre projet, finalité et moyens est-il concrètement perceptible dans le fond de la GC ?

  Pour y répondre, cette réflexion s’intéressera à la genèse du slogan GC, à la typologie des hommes qui prétendent en être des adhérents et animateurs ainsi qu’à la problématique de la définition d’une ligne directrice (sorte de profession de foi) sous-jacente à une construction conceptuelle préalable.

  Mais a priori, rappelons à l’évidence quelque chose, à tout le moins surprenant qui ne cesse d’interpeller les observateurs et autres analystes de la scène politique sénégalaise : Jamais Karim Wade, ni Abdoulaye Baldé ne s’expriment publiquement sur la GC, ni n’en font mention dans leurs interventions médiatiques.  C’est la presse qui, commentant chaque fait et geste de Karim Wade ou des ses « amis » comme allant dans le sens de la concrétisation de la Génération du Concret comme une réalité politique de plus en plus assumée sur la scène publique, assure, sans le savoir le rôle de délégataire par défaut, et donc, de constructeur et promoteur de la GC..

1.      UNE CONSTRUCTION POLITIQUE DES MEDIAS

L’expression « Nous sommes de la Génération du Concret » a été vaguement lancée par Karim Wade lors d’une interview dans un quotidien de Dakar en 2005[1]. Au même moment ou peu après, répondant à une question d’un journaliste sur ses éventuelles ambitions politiques pour la ville de Dakar, il allait ajouter « je veux être maire de Dubaï ». Peut-on supposer qu’à une probable prochaine question du type « avez-vous l’intention de devenir Président du Sénégal ? », Karim réponde un jour « je veux être Emir des Emirats Arabes Unis » ?

Sans prétendre trahir la pensée et les intentions de Karim, on peut opérer un rapprochement sémantique entre les deux déclarations pour en déduire l’hypothèse qu’elles ne contenaient, au moment de leur diffusion, aucune programmation politique calculée sur le long terme mais qu’elles traduisaient simplement un état d’agacement de l’auteur face à une certaine presse qui lui prêtait prématurément des ambitions politiques pour la succession du Président Abdoulaye Wade. Explicitement, l’une et l’autre n’étaient rien d’autre qu’une conjonction intuitive et spontanée de mots, dans le cadre d’une conversation en vue de clarifier un axe de positionnement technique et non politique dans l’attelage présidentiel. En plus de marquer un désintéressement total de l’intéressé vis-à-vis d’une carrière politique, elles visent à couper-court au débat sciemment lancé par les médias sur l’éventualité de son pôle-positionnement dans la perspective post-Wade ; une manière de dire que lui, Karim Wade, n’est pas dans le « blabla » politicien de tous les jours ; qu’il est dans l’action et non dans l’activisme; que dans le service de l’Etat, le niveau de prise de décision politique l’intéresse moins que celui de la gestion opérationnelle, voire même de la stricte exécution matérielle des missions qui lui sont confiées. On était donc ici loin d’un objet politique rationnellement et intellectuellement élaboré par avance sous forme de projet politique et auquel Karim voudrait donner un corps et un contenu politique avec une structure dirigeante, une philosophie et des hommes pour l’animer en vue de la conquête du pouvoir.

C’est à la lumière de cette lecture que nous présentions la GC, dans une précédente analyse, comme un mouvement d’idées primant le fait sur le dit, l’acte sur le discours, l’Etat technocratique sur l’Etat politicien. Cependant, il faut remonter un peu plus loin pour comprendre les évolutions survenues dans l’échelonnement de la dynamique d’extension de la GC, (peut-être jusqu’au stade de mutation en parti politique un jour).

L’éloignement de l’ancien Premier Ministre, Idrissa Seck, de la galaxie Wade, suite à la thèse de la dualité au sommet de l’Etat bien couverte par l’affaire des « Chantiers de Thiès », laisse un vide de dauphinat politique au sein du Parti Démocratique Sénégalais (PDS). Cette crise majeure favorise l’affirmation directe ou indirecte  de la « présidentiabilité » des uns et des autres dans l’entourage immédiat du Président de la République. A la faveur de ce boulevard vers la succession laissé vacant au PDS par le départ de Monsieur Seck, Karim va préparer tranquillement sa transition d’un statut à un autre. En effet, agissant via le cercle de ses amis ou de ses collaborateurs chargés de formater l’opinion publique sur ses capacités présidentielles, il va progressivement cumuler et assumer les deux casquettes de collaborateur biologique et politique le plus proche et le plus influent du Président Wade. De là, l’ombre de son réseau s’étend et commence à éclipser l’influence du parti dans les décisions majeures du Président.

En conséquence de cette conjoncture qui affecte le PDS, et presque, exclusivement sous l’effet de la contrainte inconsciemment construite par les médias, Karim Wade va peu à peu se forger une conscience sur sa potentialité à assumer la gestion du pouvoir politique au plus haut niveau et depuis lors, va s’évertuer à élever ses ambitions de pallier en pallier.

Ce glissement du fils biologique vers le fils putatif va précipiter dès lors au sein de la GC un dilemme entre désir et tentation : désir de préserver les vertus de l’anonymat que requièrent l’efficacité et le rendement du service technocratique de l’Etat ; tentation de céder aux vieilles pratiques politiciennes de l’Etat politicien sans lesquelles, malheureusement, dans cette démocratie sénégalaise en construction, le discours de mobilisation, de massification du parti et d’identification de tout candidat à l’électorat ne passe pas.

A défaut de pouvoir harmoniser les deux postures  sans que l’une n’exclue l’autre, la GC se place dans une situation hybride qui la rend nébuleuse et opaque. Cette opacité est renforcée par une animation informelle opérée en dehors de tout cadre normatif et statutaire de référencement, d’organisation, de structuration et de légitimation de prise de parole au nom du mouvement. Le tronc qui tient la greffe des adhérents est moins la consistance idéologique du projet politique envisagé par le concept de GC que la seule personne des deux (2) hommes, KW et AB, et leurs statut et attribut fonctionnels dans l’appareil d’Etat.

En schématisant le corps de ces adhérents, on distinguera une forte proportion de fascinés et une faible proportion d’adhérents authentiquement convaincus du concept GC.

Les premiers sont soulevés par une volonté de capitaliser rapidement un intérêt en termes de reconnaissance financière et promotionnelle immédiate auprès de Karim et Abdoulaye. Leur motivation est tributaire de la durée de vie de l’objet de leur fascination. Celui-ci est le reflet que renvoie la complicité de KW et AB avec le Chef de l’Etat ainsi que les dorures du pouvoir que projette cette proximité dans l’imaginaire des uns et des autres. Cette motivation se légitime ainsi non pas par la recherche d’un accroissement de pertinence au profit de la vision proclamée par la GC, mais essentiellement par la capacité de mobilisation et de distribution financière de KW et AB. Capter la rente financière, par un zèle et un activisme sous-couverts de mobilisation pour un nouveau concept politique annonciateur d’une pratique politique renouvelée, reste une obsession de ce « militantisme ».

Les seconds, convaincus de l’idée de GC, jouent tout de même la prudence en activant leur raison critique vis-à-vis de celle-là et en se gardant de s’embarquer à la va-vite dans un gouvernail dont le pilote et le co-pilote peinent à convaincre de leur capacité à manœuvrer et à conduire l’expédition à bon port. Ils attendent de voir pour ainsi dire le courage et les éventuels atouts politiques de KW et AB (la présidentiabilté de l’un et la « premier-ministrabilité » de l’autre ou inversement) ; ils attendent que leur soit révélée la pertinence du projet et la vraie identité politiques de la GC sur la scène politique nationale. Ces vrais potentiels « militants » dormants veulent quelque chose de décalé par rapport aux habitudes de gouvernance politique connues dans le pays. Peu importe que ce quelque chose se nomme GC ou pas, pourvu qu’il soit porteur d’un fond crédible de rupture, consistant et politiquement consommable. En somme, ils veulent voir concrètement l’existence politique concrète de la GC.

Les petites réunions d’adhésions présidées ça et là par des Chargés de Mission à l’ANOCI, de Dakar à Paris, en passant par Ziguinchor, Milan, Brooklyn, Ouakam etc…, ne peuvent faire la force d’un mouvement politique, ni créer de militantisme durable. Tout au plus, accroissent-elles le cercle des « fans » de Karim et Baldé. Car, ce qui est mis en évidence dans ces opérations, ce sont les personnes privées de ces deux hommes déclinés principalement sous leurs compétences professionnelles, leur savoir-faire, leur intégrité etc... Certes, il faut ces traits à tout prétendant au leadership, mais ce dont a besoin un mouvement politique c’est d’abord et avant tout, la clarté intellectuelle du projet politique et l’efficacité du marketing autour de ce projet et des hommes qui le portent. Ceux qui rejoignent la GC, ne savent pas exactement ce pour quoi ils se mobilisent, ne connaissent pas la direction où ils vont, ni les moyens politiques qui leur servent de support, si ce n’est qu’ils sont seulement fanatisés par le destin de princes en puissance dont le mérite est d’être dans le plus profond secret du roi. Le sens de ces adhésions (comme celle de cette ancienne trésorière parisienne de la CIS) est une pure prolongation du rêve. Rêve que le virtuel, c’est à dire la GC en l’état actuel, devienne un jour une réalité politique identifiée et, peut-être, un parti politique enfin organisé, outillé, doté d’un programme, d’une structure et d’une méthode pour posséder le pouvoir suprême.

2.      DU SLOGAN AU CONCEPT : UNE DIFFICILE TRANSITION

Le dictionnaire Larousse définit le mot « slogan » comme une « formule brève et frappante lancée pour propager une opinion, soutenir une action. » En politique, il s’agit d’une « phrase publicitaire concise et originale, conçue en vue de bien inscrire dans l’esprit du public le nom d’un produit. » Selon le même dictionnaire, le concept, qui est une « définition des caractères spécifiques d’un projet, d’un produit par rapport à l’objectif visé » s’appréhende « selon sa compréhension et son extension ».

Si le slogan se distingue ainsi par sa brièveté et son caractère quasi-accessoire, pouvant être soumis à un régime aléatoire parce que pouvant changer selon qu’il convient ou pas à la propagande, le concept, lui, a un coté durable, fondamental, substantiel c’est à dire quasi-immuable. Sous cet angle, il ne pourrait y avoir de slogan sans concept puisque le second sous-tend le premier et le légitime. Ex : Le slogan SOPI est sous-tendu par les concepts formalisés par Maître Wade pour gouverner le Sénégal, selon sa vision de l’économie, du social, de la santé, des institutions, des rapports du Sénégal au reste du monde etc…

La GC est-elle alors un concept politique ? Si oui, quels en sont les caractères spécifiques ? Est-elle un simple slogan ? Si oui, quelle réflexion conceptuelle la sous-tend et la légitime ? C’est exactement sur ce terrain de la réflexion et de la clarification intellectuelles que Karim Wade et Abdoulaye Baldé sont attendus.

Dans l’histoire du cheminement des pensées qui ont proclamé leur dessein de changer la condition de l’homme, aucun mouvement, aucun syndicat, aucune organisation ne s’est construit, consolidé et pérennisé sans, en amont, un véritable travail de théorisation, de représentation, d’organisation mentale des choses, pour tout dire, de construction conceptuelle.

En politique, ce travail ne se réduit pas à une surcharge de définitions et d’approches de la ligne directrice laissée à la libre charge intuitive de chacun. Il appelle un effort de réflexion sur les orientations, la finalité et les moyens mais aussi sur la discipline d’action. Cette exigence permet  de formaliser le brevet de l’idée inventée avec tous les attributs identitaires qui en font et préservent l’originalité aux fins de consommation sans ambiguïtés par les masses. Le but étant de dégager en aval le noyau identitaire du mouvement qui clarifie, codifie, justifie et motive les orientations, les élans et actions d’ensemble. L’absence de cet habillage intellectuel substantiel, de cette assise conceptuelle vide la GC de tout référent doctrinaire et par ricochet de toute crédibilité politique. Qui aujourd’hui est en mesure de donner une définition précise, claire et compréhensible de la GC sans qu’il ne verse dans la fascination et l’admiration gratuites et égoïstement calculées pour le fils du PR et son ami Baldé ? Nous doutons même que Karim et Baldé en puissent proposer une sans la réduire aux chantiers de l’ANOCI. Or, le bitume et la pierre posés dans un recoin du pays suffisent-ils à être un programme politique pour toute une nation ? Que propose la GC au pauvre laboureur de Kaniaka ou au Berger de Fongolemy qui ne mettront certainement jamais les pieds sur la Corniche ?

En général, les précurseurs de grandes causes, de grandes idées ne font pas vivre ces dernières. Ils en jettent simplement les fondements théoriques, à charge pour les élèves, les fidèles ou les militants d’en assurer la promotion, la diffusion et la sauvegarde à travers temps et espaces, en prenant garde à l’altération de la matrice fondatrice. Marx a dit sa pensée, ses élèves ont fait vivre le marxisme ; De Gaule a créé la 5e République française, ses héritiers politiques ont fait rayonner le gaullisme ; Cheik Amadou Bamba a posé ses bonnes pratiques du service de Dieu, ses fidèles ont propagé le Mouridisme à travers le monde. C’est cette même quête de réincarnation dans la postérité qui hante le Président Wade. L’homme ne veut pas simplement se suffire de compagnons et d’héritiers qui reprennent mécaniquement sa pensée et ses visions avec un automatisme irrationnel et dépendant. Il a aussi besoin de ceux qui la vivifieront « jusqu’à l’extinction du soleil », en y ajoutant une plus-value personnelle pour assurer une mise à jour permanente du « Wadisme », en fonction des époques et des lieux. Son angoisse politique aujourd’hui pourrait se résumer dans cette interrogation pas moins existentielle : qui, dans son entourage actuel est à même de lui survivre politiquement et « philosophiquement » ? C’est dans ce sens qu’il faut interpréter les multiples appels (avortés) à retrouvailles entre lui et Idrissa Seck. Quelle que soit la profondeur de la fissure de leurs relations politiques, Wade éprouve de la peine à se départir de la conviction qu’en son ancien Premier Ministre, il peut être rassuré de trouver le seul « disciple », parmi tous, qui puisse incarner, conserver, enrichir et diffuser sa pensée, ses convictions et son œuvre politique, dans toute leur transfiguration originelle.

C’est ce lien logique entre précurseur et propagateur qui est absent de la GC ou du moins en est inversé. KW et AB ne donnent aucune direction de ce qu’ils croient être la GC ; ils ne proposent aucune piste de réflexion, se limitant à des opérations matérielles ponctuelles qui sont certes justifiées dans l’esprit de GC mais qui ne suffisent pas pour en faire un support de promotion et de crédibilité politiques.

En n’ébauchant pas ce préalable de construction intellectuelle et en ne possédant pas une structuration organique, la GC trahit l’essence même qui la sous-tend, puisque, objectivement, elle ne sort pas de l’abstrait et n’existe concrètement que dans la virtualité. De deux choses, l’une : soit KW et AB ont une peur morale et politique de sortir de cette cache pour se poser en concurrents ouverts dans la succession à Me Wade contre des pointures comme Idrissa Seck, Ousmane Tanor Dieng, Macky Sall ; soit, ils sont incapables d’alimenter leur mouvement en vision claire, en projet politique convaincant et en orientations pertinentes, indispensables à faire de la GC un instrument d’autonomisation progressive face au PDS dans la perspective 2012 (voire avant), si telle en est leur vocation.

Ndiaye Alassane Mamadou


[1] A vérifier

14 juin 2007

LE PRESIDENT YAYA JAMMEH ET SON « REMEDE » CONTRE LE SIDA

  En mars 2007, le Président Gambien a fait une annonce qui n’a pas manqué de faire frissonner les esprits. Sa prétendue découverte d’un traitement du sida à base de plantes et la « guérison » des malades qui s’en serait suivie a pris de court tout ce que la science médicale compte d’experts dans le domaine de la lutte contre cette épidémie planétaire.

  En réaction, le Programme des Nations unies pour le sida (ONUSIDA) et l'Organisation mondiale de la santé (OMS), tout en rappelant dans un communiqué « l'importance d'approches basées sur des preuves dans le cadre du traitement du sida», ont insisté sur le fait que « des remèdes à base de plantes ne peuvent pas remplacer un traitement global et la prise en charge des personnes vivant avec le VIH (à savoir la prophylaxie et le traitement des infections opportunistes et la thérapie anti-rétrovirale hautement active là où elle est indiquée) ». Les deux organisations vont ajouter que « l'Afrique sub-saharienne porte le fardeau le plus élevé des infections au VIH et de la mortalité liée au sida dans le monde », avant d’intimer l’ordre de « n’arrêter ces traitements en faveur de n'importe quel remède ». L’ONUSIDA et l’OMS sont des organismes internationaux dont l’autorité en matière de politique de santé publique internationale n’est pas discutable. Mais leur indifférence par rapport à l’insistance du Président Gambien sur le sérieux de sa « découverte » et « l’efficacité » de son nouveau « remède anti-sida » sont de nature à susciter des questions. Car, en dépit des mises en garde et du fait que les médias ridiculisent ses séances de guérison télévisées, le Président Jammeh persiste et signe, jurant à qui veut l’entendre qu’il mesure ses « responsabilités », qu’il « ne joue pas avec la vie des individus », qu’il « ne gagne rien en le faisant si ce n’est la conscience de sauver des vies ». On pourrait être alors porté à croire qu’il y aurait quelque chose de vrai dans ce qu’il dit. Seulement, il faut reconnaître que les diverses déclinaisons du personnage ne plaident pas pour que les observateurs accordent un moindre sérieux, un moindre crédit à ses faits et gestes quotidiens, fussent-ils des plus prometteurs. L’homme est constamment dépeint sous les traits d’un personnage bouffon, loufoque et satirique, une espèce de Gargantua qui joue dans l’exubérance, dans la parure religieuse pour s’attribuer la reconnaissance de sage, voire de saint vivant. Ainsi, toute la part d’authenticité africaine qu’il recèle (tant dans son paraître que dans son être) s’en trouve décriée, stigmatisée. S’y ajoute que c’est un militaire qui assoit son autorité de chef de l’Etat par les armes et le mysticisme de son pouvoir. De ce côté « pas sérieux » que trahit son accoutrement et l’apparence d’un « chef inculte » que l’enfant de Kalinaï[1] offre à ses détracteurs découle le fait que tous les préjugés contre lui formulés trouvent aisément un terrain de prospérité. Y compris ceux de démocrates autoproclamés, de certains Africains eux-mêmes faussement trop imbus du puritanisme scientifique de l’Occident et dont le système de pensée ne fonctionne qu’avec des logiciels d’emprunt. Un journal sénégalais (Nettali) a même porté à sa « UNE » du 22 Mars 2007 ce titre moqueur : « Un Président Illuminé ». Or, contrairement à Jammeh, certains « bons connaisseurs » africains se sont, par complexe d’infériorité, volontairement déconnectés des réalités endo-africaines en feignant d’ignorer que, certes, l’homme Noir africain « n’a inventé ni la poudre, ni la boussole » (Aimé Césaire), mais c’est un homme qui sait parfois « parler aux arbres » et à qui il suffit parfois « juste de nommer les choses et les éléments de son univers » (L. S. Senghor) pour qu’ils soient.

  L’Homme Blanc ne fera pas de cadeau à l’Homme Noir sur sa certitude relative au fait qu’est nul et non avenu tout ce qui n’a pas fait l’objet d’une expérimentation scientifique et n’est pas passé par le tamis du rationalisme discursif de l’Occident. Doit-on s’étonner qu’il n’adhère pas aux vertus de remèdes africains « non testé » par ses laboratoires scientifiques européens ou américains, comme le rappellent l’ONUSIDA et l’OMS ? Même quand la recherche de vérités scientifiques emprunte aux mêmes procédés scientifiques, certains pays occidentaux rechignent à reconnaître la scientificité des méthodes employées ailleurs par d’autres pays dans le monde. Il en est ainsi par exemple de l’attitude de la France qui avait rejeté les résultats des expertises d’ADN réalisées dans un laboratoire en Corée du Sud lors de l’affaire des bébés congelés mettant en cause en 2006 un couple français, en l’occurrence les époux Courjault. Les autorités françaises, mettant en doute le sérieux des analyses ADN réalisées par le Dr. Han Myun-soo de l’Institut National d’Investigation (NISI) à Séoul avaient exigé que d’autres expertises soient réalisées en France. A l’arrivée, les résultats obtenus ici ont confirmé ceux présentés là-bas par les experts de la Corée. Tout cela pour dire que c’est aux scientifiques africains de s’intéresser à ce que fait le Président Yaya Jammeh. L’enjeu serait aussi de prouver aux « autres » que nos arrière-grands-parents et parents soignaient et soignent encore les fractures de jambes, le diabète, les morsures de serpents, et autres types de maladies face auxquelles la médecine occidentale a échoué… à base de simples remèdes faits de racines, de plantes, voire même de sourdes invocations à Dieu, aux esprits. Il ne doit pas être exclu que ce don, ce savoir non écrit se réincarne en Yaya Jammeh. C’est cela aussi l’autre Afrique, différente de l’Afrique politique, de l’Afrique des mines, de l’Afrique des conflits armés, de l’Afrique de la famine dont sont si friands les grands médias et autres « humanitaires » occidentaux. Quand l’église catholique canonise ses religieux et religieuses en France, en Italie, en Grande-Bretagne… parce qu’ils auraient réalisé des miracles sur des malades pour lesquels la médecine moderne ne pouvait rien, cela ne suscite jamais rires, mais plutôt agrandi l’aura et la sainteté de ces hommes.

On ne le dira jamais assez ! Le complexe du centrisme occidental du savoir, de la science et de la technique est un secret de polichinelle. Depuis toujours, le projet  de l’Occident consiste à formater les consciences universelles à la sacralisation de cette vérité décrétée qui voudrait que, jusqu’à l’infini, il soit le seul endroit de la planète capable d’engendrer le seul et unique « maître et possesseur de la nature ». Tous les domaines concourant au rehaussement culturel, scientifique, technique de l’homme sur terre sont perçus comme des domaines réservés d’un certain « esprit supérieur » dont le sol africain n’offrirait pas les conditions naturelles de germination et d’éclosion. Il a déjà été considéré que « la démocratie est un luxe pour l’Afrique » ! Alors, doit-on s’étonner qu’il soit également considéré que la découverte et l’invention scientifiques soient des luxes pour l’esprit de l’Africain, du Noir en général, fut-il Président d’un pays ? Il n’y a pas si longtemps, un physicien nigérian enseignant dans une université américaine remettait en cause la théorie de Einstein sur la relativité. Que ne sont pas en train de faire aujourd’hui ses collègues chercheurs pour banaliser les travaux de cet universitaire ?

Ce ne serait pas œuvre sacrilège que de s’attaquer à cette orthodoxie qui persiste de manière nostalgique chez certains « honnêtes hommes » et qui fait de l’Occident le centre de « l’esprit supérieur » de la terre. Même en Occident, il a fallu le courage, le génie et la ténacité d’esprits volontaires, à un moment de l’histoire au 17e puis au 18e siècle, pour démocratiser tout simplement la réflexion, la pensée, et, partant, la création. Descartes n’a t-il pas écrit directement en français en 1637 « Le Discours de la méthode » pour s'opposer à la tradition scolastique qui avait pour habitude d'écrire en Latin, défiant ainsi tous les codes de conduite intellectuelle, philosophique et artistique  de son époque ? Alors, les volontaires Africains devraient avoir le réflexe d’aller en Gambie, d’accompagner Yaya Jammeh dans l’expérimentation de son « remède », (s’il en est vraiment un) au besoin, de l’aider à perfectionner celui-ci, et peut-être ainsi de permettre que s’écrive en « africain » la découverte médicale contre le sida. Il ne doit pas y avoir de honte, ni de complexe à le faire car la curiosité est un élément essentiel du progrès de la science. Ne nous attendons pas à ce que le blanc-seing attestant la véracité des remèdes du Président Gambien provienne d’ailleurs. C’est à la communauté scientifique africaine impliquée dans le domaine de la recherche médicale, pharmaceutique de mener l’offensive, quitte à subir un échec en aval. Au passage, mention spéciale à ce grand laboratoire marocain qui a même certifié l’évolution positive des malades après avoir examiné leur sang. Ne laissons pas le Président Jammeh se battre seul pour faire valoir son secret ! Si l’Afrique le fait, les touristes, journalistes et autres espions occidentaux le lui sous-tireront un jour ou un autre et, plus tard, nos historiens auront éventuellement du mal à se battre pour faire reconnaître au continent africain la paternité du premier remède contre le SIDA. Il est encore temps que nos experts en pharmacie, médecine, biologie végétale, collaborent avec le Président Gambien, qu’ils aient la passion de décortiquer son secret dans tous les sens afin que nous n’ayons pas à regretter, après sa mort, « une bibliothèque qui brûle ! » Pour cela, il faudrait faire la part des choses entre deux personnages en un : oublier le Président Jammeh, le militaire accroché au pouvoir en Gambie et s’intéresser simplement au savoir qui pourrait ici être le sien en ayant constamment en background l’idée qu’il est issu d’une lignée familiale de guérisseurs traditionnels. Même si depuis plusieurs décennies, des centaines de laboratoires, de chercheurs au monde ont conjugué leurs savoirs pour étudier les moyens de vaccination et de soin du sida, cela ne délégitime pas l’action de ceux qui agissent en solitaire hors mécanismes scientifiquement attestés. « Il n'y a pas, disait Descartes, tant de perfection dans les ouvrages composés de plusieurs pièces, et faits de la main de divers maîtres, qu'en ceux auxquels un seul a travaillé ».

Les enjeux autour de la lutte contre le sida ne sont pas purement sanitaires ou humanitaires. Ils sont aussi financiers. Les grandes firmes pharmaceutiques américaines et européennes, détentrices de brevet, en font un fond de commerce qui fructifie considérément leur capital. Glaxo Smith Kline (GSK) et Boehringer Ingelheim (BI), les deux géants pharmaceutiques, récemment mis en cause dans une procédure judiciaire en Afrique du Sud, détiennent respectivement, pour GSK, les brevets de l’AZT et lamivudine et, pour BI, de la névirapine, trois antirétroviraux qui forment la prescription la plus couramment formulée en Afrique, notamment dans les expériences pilotes menées par Médecins sans frontières (MSF). On comprend donc qu’il y ait une volonté de diaboliser et d’anéantir tout effort de découverte qui remettrait en cause ce monopole des firmes occidentales sur ce gigantesque marché du Sida en Afrique.

On se rappelle qu’en 2005, une grave menace avait été brandie contre l’Inde, principal fournisseur de médicaments génériques anti-sida. À cette date, ce pays devait appliquer les accords de l’OMC sur le respect des brevets aux produits pharmaceutiques. En visant ainsi l’Inde, on atteignait en réalité d’autres principales victimes, c’est à dire les pays pauvres, plus touchés par l’épidémie du sida et, par conséquent, principaux importateurs de ces copies à moindre coût, à l’instar du Brésil qui avait mis en place un programme de distribution gratuite des traitements aux malades du sida depuis 1996.

                                                Alassane Mamadou Ndiaye

                                                New York

                                                andiaye5@yahoo.fr

                                                www.alassane.canalblog.com

[1] Village natal de Yaya Jammeh


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"SANS LA LIBERTE DE BLÂMER, IL N'EST POINT D'ELOGE FLATTEUR" (Beaumarchais)
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